Par Philippe Leymarie
pour http://blog.mondediplo.net
[2] C’est le cas aussi en Grande-Bretagne, où – ces dernières semaines – les généraux de la Royal Air Force et les amiraux de la Royal Navy ont multiplié les bémols et gestes de grogne.
[3] Il joue un peu le rôle de syndicat-maison, les militaires n’étant pas autorisés à s’affilier à une organisation syndicale civile.
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L’approche du 14 juillet est traditionnellement l’occasion de sonder « les cœurs et les esprits » des militaires. Avec la toujours dangereuse intervention en Afghanistan, et la course de vitesse de ces derniers jours en Libye pour obtenir, coûte que coûte, l’élimination du « diable » Kadhafi, ils ont du grain à moudre, alors que douze mille de leurs collègues sont embarqués en « opérations extérieures ». Mais aussi quelques états d’âme…
On passera vite sur l’anecdote : le défilé aérien du 14 juillet, sur les Champs-Elysées, serait allégé pour cause de guerre en Libye. « Priorité aux opérations », explique-t-on, au ministère de la défense. Et pour atteindre un parc convenable, il a tout de même fallu inclure les Extra-330 de présentation acrobatique, ou les bombardiers d’eau Dash-8… On est une puissance « moyenne », ou on ne l’est pas !
Il est vrai qu’outre l’engagement en Afghanistan, lourd et lointain, l’opération en Libye – dont la France se veut la tête pensante – consomme, toutes armées confondues, un effectif de 4 000 hommes (autant qu’en Afghanistan), une centaine d’avions effectuant une quarantaine de « sorties » par jour en territoire libyen (où ils assurent en gros un tiers des frappes), ainsi qu’une vingtaine de navires de tous types.
Surcoût avoué officiellement : 1 million d’euros par jour (comme en Afghanistan). Mais certaines évaluations vont jusqu’à 1,2 million, notamment pour financer l’achat de munitions supplémentaires. Et ces « surcoûts » n’incluent ni la maintenance à long terme et l’usure accélérée des matériels ni bien sûr les salaires des personnels concernés (qu’il aurait fallu payer de toute manière).
Chez les militaires, on est toujours étonné de voir les civils impatients d’en découdre… et d’en finir vite. On affirme qu’il n’y a aucune « surprise stratégique » : la Libye, qui avait vécu en autarcie jusqu’en 2006, s’était organisée, avec par exemple des centaines de casernements, bunkers, soutes à munitions, etc. On rappelle le précédent du Kosovo (1 000 sorties par jour, durant quatre mois). Et on fait valoir qu’une guerre, de toute façon, ne se gagne pas par l’aérien : la diplomatie et les arrangements politiques entre Libyens auront une importance considérable. Les Occidentaux en Libye sont « squeezés », comme au bridge, explique l’amiral Guillaud, le chef d’état-major des armées en France : « Soit on ne faisait rien, et on nous tombait dessus. Soit on fait, mais ce n’est pas assez bien, assez vite… Donc, coincés. »
Dans l’immédiat, les chasseurs et hélicoptères, très majoritairement français et britanniques, continuent d’aider les troupes rebelles ou de pilonner les « centres de commandement » (dont on peut se demander ce qu’il reste, depuis le temps…). Pour tenter d’accélérer le dénouement de la crise, le gouvernement français a même pris sur lui de parachuter des armes, présentées comme « légères » [1] afin d’aider les combattants de tribus berbères dans les montagnes de Nefoussa (mais sans doute ailleurs : saura-t-on jamais ?) à « organiser leur autonomie » – selon le mot de Gérard Longuet. Bref, c’était quasiment de l’humanitaire, à en croire le ministre…
Le ministre paraissait donc douter quelque peu de la capacité des rebelles à agir dans l’unité, selon un plan et des directives homogènes, en dépit des « conseils » qui leur sont prodigués par des officiers de liaison français, britanniques et italiens installés à Benghazi. Mais on s’y efforce. Un membre du « Comité révolutionnaire de Zenten », dans les montagnes berbères au sud-ouest de la capitale, affirmait ainsi mercredi : « Nous attendions avant de lancer cette attaque, nous avons finalement eu le feu vert de l’OTAN ce matin, et l’offensive a commencé. » Les largages du mois dernier leur auraient donné le punch nécessaire pour se lancer maintenant dans une tentative d’encerclement de la capitale…
Mais, côté débat au parlement français, la droite peut se rassurer : l’affaire ne s’annonce pas très controversée. Par la voix de son bureau national, le parti socialiste, principale formation d’opposition en France, a jugé le 5 juillet dernier que « la poursuite de cet engagement en Libye est nécessaire à ce stade, dans le cadre du mandat des Nations unies (…). En prenant part à cette intervention, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, assume ses responsabilités à l’égard d’une population en danger. » Fermez le ban ! Le généralissime Sarkozy peut donc attendre sereinement son joli 14 juillet sur les Champs, avec soldats de plomb et joujoux pétaradant sur le bitume ou dans les airs.
Pourtant, on a compté ces derniers mois jusqu’à neuf théâtres d’engagements simultanés, avec notamment – outre la Libye, l’Afghanistan et la Côte d’Ivoire – le Liban, le Sahel, la piraterie, l’orpaillage clandestin en Guyane, etc. Et en parallèle toujours, en application du Livre blanc de 2008 et de la réforme en cours des politiques publiques (RGPP), des baisses d’effectifs, une réduction des emprises territoriales, avec fusion d’unités et création de « bases de défense » inter-armées : « Pendant les travaux, la vente continue » se satisfait l’amiral – alors que les chefs d’état-major des armées de terre, de l’air et de mer ont tendance à renâcler, assurant qu’ils sont aux limites de leurs capacités, et qu’ils constatent un moral en baisse [2].
Ces élus du CSFM ont demandé l’édification d’un monument à la mémoire des morts en opération, l’instauration d’une « journée » destinée à les honorer, l’attribution systématique de décorations, et d’emplois réservés aux militaires blessés ou à leurs conjoints. Ils réclament aussi une meilleure sensibilisation des jeunes au cours des journées défense et citoyenneté (JDC), l’obligation faite aux médias télé publics de « diffuser une information plus exhaustive et plus fréquente » sur ces morts et blessés en mission opérationnelle, et la fin du « quasi-anonymat du rapatriement des corps de nos camarades tués au combat »… alors que la société civile et médiatique préfère célébrer jusqu’à plus soif la libération des journalistes-otages (et imprudents, selon les militaires) d’Afghanistan, ou les frasques sexuelles de DSK…
Il est vrai qu’outre l’engagement en Afghanistan, lourd et lointain, l’opération en Libye – dont la France se veut la tête pensante – consomme, toutes armées confondues, un effectif de 4 000 hommes (autant qu’en Afghanistan), une centaine d’avions effectuant une quarantaine de « sorties » par jour en territoire libyen (où ils assurent en gros un tiers des frappes), ainsi qu’une vingtaine de navires de tous types.
Surcoût avoué officiellement : 1 million d’euros par jour (comme en Afghanistan). Mais certaines évaluations vont jusqu’à 1,2 million, notamment pour financer l’achat de munitions supplémentaires. Et ces « surcoûts » n’incluent ni la maintenance à long terme et l’usure accélérée des matériels ni bien sûr les salaires des personnels concernés (qu’il aurait fallu payer de toute manière).
Inénarrable Guide
On sait qu’une course de vitesse est engagée, les Français ayant notamment fait pression pour tenter de boucler l’opération avant le débat prévu le 12 juillet à l’Assemblée nationale, au sujet d’un prolongement de l’engagement militaire français. C’est raté concernant les délais : l’inénarrable Kadhafi sera vraisemblablement toujours là le 12. L’actuelle offensive des rebelles à l’ouest, aux approches de Tripoli, déclenchée en milieu de semaine, est dangereuse pour le régime du « Guide », mais ne semble pouvoir emporter la décision dans l’immédiat.
Chez les militaires, on est toujours étonné de voir les civils impatients d’en découdre… et d’en finir vite. On affirme qu’il n’y a aucune « surprise stratégique » : la Libye, qui avait vécu en autarcie jusqu’en 2006, s’était organisée, avec par exemple des centaines de casernements, bunkers, soutes à munitions, etc. On rappelle le précédent du Kosovo (1 000 sorties par jour, durant quatre mois). Et on fait valoir qu’une guerre, de toute façon, ne se gagne pas par l’aérien : la diplomatie et les arrangements politiques entre Libyens auront une importance considérable. Les Occidentaux en Libye sont « squeezés », comme au bridge, explique l’amiral Guillaud, le chef d’état-major des armées en France : « Soit on ne faisait rien, et on nous tombait dessus. Soit on fait, mais ce n’est pas assez bien, assez vite… Donc, coincés. »
Dans l’immédiat, les chasseurs et hélicoptères, très majoritairement français et britanniques, continuent d’aider les troupes rebelles ou de pilonner les « centres de commandement » (dont on peut se demander ce qu’il reste, depuis le temps…). Pour tenter d’accélérer le dénouement de la crise, le gouvernement français a même pris sur lui de parachuter des armes, présentées comme « légères » [1] afin d’aider les combattants de tribus berbères dans les montagnes de Nefoussa (mais sans doute ailleurs : saura-t-on jamais ?) à « organiser leur autonomie » – selon le mot de Gérard Longuet. Bref, c’était quasiment de l’humanitaire, à en croire le ministre…
Feu vert de l’OTAN
Depuis, Paris a apparemment mis fin à ces largages, qui – relève l’AFP le 6 juillet – « ont souligné les divergences au sein de la coalition internationale », avec les réserves des Britanniques, et les critiques renforcées des adversaires de l’intervention armée, en particulier de la Russie. Selon le même « principe de réalité » invoqué par le ministre Gérard Longuet, qui annonçait mardi à des journalistes l’arrêt de ces largages, une grande offensive des rebelles sur Tripoli paraissait peu opportune, et délicate : « Nous ne sommes pas aujourd’hui dans un système stabilisé, centralisé, obéissant dans toutes ses implications sur le terrain à une autorité unique. »
Le ministre paraissait donc douter quelque peu de la capacité des rebelles à agir dans l’unité, selon un plan et des directives homogènes, en dépit des « conseils » qui leur sont prodigués par des officiers de liaison français, britanniques et italiens installés à Benghazi. Mais on s’y efforce. Un membre du « Comité révolutionnaire de Zenten », dans les montagnes berbères au sud-ouest de la capitale, affirmait ainsi mercredi : « Nous attendions avant de lancer cette attaque, nous avons finalement eu le feu vert de l’OTAN ce matin, et l’offensive a commencé. » Les largages du mois dernier leur auraient donné le punch nécessaire pour se lancer maintenant dans une tentative d’encerclement de la capitale…
Mais, côté débat au parlement français, la droite peut se rassurer : l’affaire ne s’annonce pas très controversée. Par la voix de son bureau national, le parti socialiste, principale formation d’opposition en France, a jugé le 5 juillet dernier que « la poursuite de cet engagement en Libye est nécessaire à ce stade, dans le cadre du mandat des Nations unies (…). En prenant part à cette intervention, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, assume ses responsabilités à l’égard d’une population en danger. » Fermez le ban ! Le généralissime Sarkozy peut donc attendre sereinement son joli 14 juillet sur les Champs, avec soldats de plomb et joujoux pétaradant sur le bitume ou dans les airs.
Au bord de la casse ?
Dans la pratique, les armées sont au taquet. Depuis 1962, explique l’amiral Guillaud, elles ont encaissé la fin du service national, une tendance à l’augmentation des opérations extérieures, et des contraintes financières plus ou moins sévères. Mais « jamais, depuis 1962, on n’avait eu les trois à la fois : la réforme, le budget limité, et les « opex » à monter ». C’est difficile, juge l’amiral, qui assure cependant : « On n’est pas du tout au bord de la casse. »
Pourtant, on a compté ces derniers mois jusqu’à neuf théâtres d’engagements simultanés, avec notamment – outre la Libye, l’Afghanistan et la Côte d’Ivoire – le Liban, le Sahel, la piraterie, l’orpaillage clandestin en Guyane, etc. Et en parallèle toujours, en application du Livre blanc de 2008 et de la réforme en cours des politiques publiques (RGPP), des baisses d’effectifs, une réduction des emprises territoriales, avec fusion d’unités et création de « bases de défense » inter-armées : « Pendant les travaux, la vente continue » se satisfait l’amiral – alors que les chefs d’état-major des armées de terre, de l’air et de mer ont tendance à renâcler, assurant qu’ils sont aux limites de leurs capacités, et qu’ils constatent un moral en baisse [2].
Anonymat des corps
Mais ce sont les « bleus à l’âme » qui font le plus de mal aux militaires, plus sensibles qu’à l’ordinaire aux approches du 14 juillet, moitié fête nationale, moitié fête des armées, et apothéose d’un lien armée-nation toujours fragile, sans cesse à recoudre… Ainsi, le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), peu suspect de mauvais esprit [3], s’est-il plaint dans ses recommandations à l’issue de sa dernière session, le mois dernier, du « scandaleux » retard dans les remboursements de frais… mais surtout du « manque de reconnaissance de la Nation, et des médias et de la société civile, à l’égard des camarades morts ou blessés dans l’accomplissement de leur mission ».
Ces élus du CSFM ont demandé l’édification d’un monument à la mémoire des morts en opération, l’instauration d’une « journée » destinée à les honorer, l’attribution systématique de décorations, et d’emplois réservés aux militaires blessés ou à leurs conjoints. Ils réclament aussi une meilleure sensibilisation des jeunes au cours des journées défense et citoyenneté (JDC), l’obligation faite aux médias télé publics de « diffuser une information plus exhaustive et plus fréquente » sur ces morts et blessés en mission opérationnelle, et la fin du « quasi-anonymat du rapatriement des corps de nos camarades tués au combat »… alors que la société civile et médiatique préfère célébrer jusqu’à plus soif la libération des journalistes-otages (et imprudents, selon les militaires) d’Afghanistan, ou les frasques sexuelles de DSK…
Notes
[1] Les Français se seraient limités aux mitrailleuses et lance-roquettes, ce qui n’est déjà plus de l’armement individuel pur. Mais les Qataris auraient distribué de leur côté des missiles antichars Milan. Les uns et les autres ne paraissent pas s’être souciés de ce que deviendraient ces armes, surtout si elles passent de main en main…
[2] C’est le cas aussi en Grande-Bretagne, où – ces dernières semaines – les généraux de la Royal Air Force et les amiraux de la Royal Navy ont multiplié les bémols et gestes de grogne.
[3] Il joue un peu le rôle de syndicat-maison, les militaires n’étant pas autorisés à s’affilier à une organisation syndicale civile.
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