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le 4 Juin 2012
pour http://www.acrimed.org
English Version
le 4 Juin 2012
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L’article ci-dessous a été rédigé à l’invitation de la rédaction d’Hommes & Libertés, la revue de la Ligue des droits de l’homme et est paru dans le n°157, de mars 2012.
Les métiers et les genres du journalisme sont si divers que tout diagnostic global est menacé de simplification abusive, du moins si un tel diagnostic ne se borne pas à identifier les tendances les plus lourdes et à les présenter comme telles, en soulignant d’emblée qu’elles ne vont pas sans contre-tendances ni exceptions. De même, les pressions qui s’exercent sur les journalistes et sur leurs pratiques émanent de sources si différentes, dépendent de causes et produisent des effets si variés qu’on ne se focalisera ici que sur certaines d’entre elles.
Emprises, dépendances
Les formes les plus visibles de l’emprise des pouvoirs politique et économique sur les médias et les journalistes sont connues. Cette emprise s’exerce ouvertement quand les médias sont assujettis à un pouvoir politique qui décide de la nomination des responsables de l’audiovisuel public et s’abrite derrière un organisme croupion et fantoche (le Conseil supérieur de l’audiovisuel) ; un pouvoir qui, de surcroît, place des journalistes sous surveillance et leur impose une loi limitative et arbitraire sur le secret des sources. Cette emprise s’exerce manifestement quand les médias sont dépendants de propriétaires privés qui tentent d’en faire des leviers d’influence politique et la source de profits.
Mais les censures les plus manifestes et les pressions les plus contraignantes qui peuvent s’exercer sur des journalistes plus ou moins isolés et parfois jaloux de préserver cet isolement, rebaptisé « indépendance », ne sont pas l’essentiel. S’il existe bel et bien des formes de subordination individuelle des journalistes, soumis à l’intervention directe de leur hiérarchie, aux injonctions des propriétaires et aux interventions des responsables politiques, la plupart d’entre eux, dans nombre d’entreprises médiatiques, ne sont pas directement tenus en laisse : personne ne leur tient les mains, quand leurs doigts s’agitent sur le clavier de leur ordinateur, ou ne leur susurre à l’oreille ce qu’ils doivent dire, du moins dans les reportages. Mais cette relative indépendance individuelle ne doit pas dissimuler les contraintes intériorisées qui la hantent, et la dépendance collective des rédactions qui la mine.
Concentration, financiarisation
Tout ne s’explique pas par l’économie, mais rien ne s’explique sans elle. Comment nier que dans des médias de plus en plus concentrés et financiarisés, les journalistes sont de plus en plus fragilisés et dépendants ? Les concentrations des médias ont pour moteur leur financiarisation. Leur appropriation par de grands groupes privés a pour finalité de les rendre non seulement rentables, mais profitables. Pour le dire simplement, l’objectif n’est pas seulement de dégager un chiffre d’affaire qui permette de payer les salariés et d’investir pour accroître les capacités d’informer, mais de dégager des taux de profit équivalents à ceux qui existent dans les secteurs de pointe de l’économie.
Ces tendances pèsent non seulement dans l’audiovisuel et la presse magazine, mais également dans la presse écrite généraliste, notamment nationale, qui, à défaut d’être profitable et même souvent rentable, tente de sauver ce qui peut l’être, en se soumettant à des groupes financiers. Ces groupes s’approprient des « marques » qui peuvent être déficitaires, avec pour objectif de les intégrer à des stratégies englobant plusieurs types de médias. Les conséquences sont considérables à la fois sur la nature de l’information produite, sur les conditions de sa production et sur les métiers de l’information. Parmi ces conséquences, les pressions qui s’exercent sur les journalistes en raison de processus de rentabilisation, d’intensification du travail et de l’introduction des formes néolibérales du salariat et du management sont évidentes. On l’oublie trop souvent : à bien des égards, les entreprise médiatiques sont des entreprises comme les autres… et parfois pire que bien d’autres.
Précarisation, dépossession
Particulièrement sensibles dans la presse écrite, les licenciements massifs et les menaces de licenciement, la réduction des effectifs et l’expansion du journalisme précaire fragilisent les rédactions.
Alors qu’il avait connu une progression remarquable pendant les décennies précédentes, le nombre de journalistes encartés a diminué pour la première fois en 2010 et cette diminution s’est confirmée en 2011. En revanche, la proportion de journalistes précaires – en CDD ou pigistes – n’a cessé de croître. Et si la féminisation du journalisme s’est poursuivie, ce sont les femmes qui se trouvent dans les situations les plus précaires. Ce sont désormais plus de 20 % de journalistes précaires qui sont officiellement encartés, auxquels il convient d’ajouter tous ceux qui ne le sont pas (parce qu’ils ne tirent pas 50 % de leurs revenus de leur activité dans une entreprise de presse) et l’armée de réserve des stagiaires et des correspondants de presse. La plupart des journalistes précaires, qu’ils se soumettent aux formes dominantes du journalisme et à sa hiérarchie, en devançant ses exigences ou que, récalcitrants, ils les subissent… « parce qu’il faut bien vivre », sont particulièrement vulnérables et perméables à toutes les pressions. Ils exercent à leur tour une pression interne sur ceux qui, en CDI, rechigneraient encore à s’adapter.
Une telle situation contribue à aggraver la dépossession croissante des rédactions sur les choix non seulement économiques, mais également éditoriaux de chaque média. Ce n’est pas totalement nouveau dans tous les médias. Mais il vaudrait la peine de décrire longuement les processus par lesquels la logique de l’audience commerciale qui prévaut dans l’audiovisuel privé et de la concurrence mimétique que lui livre l’audiovisuel public ont renforcé en leur sein le poids des chefferies éditoriales et des présentateurs, au point de vider peu à peu de substance l’existence collective des rédactions. Il faudrait aussi s’attarder longuement pour montrer comment la prise de pouvoir des investisseurs privés dans des journaux comme Le Monde ou Libération ont privé d’effectivité les droits réduits dont disposent encore leurs sociétés de rédacteurs, soumises à des chantages et des pressions périodiques. Que dire alors de ce qui se passe dans d’autres titres ?
Dépendance interne, concurrence externe
Effet et condition de cette dépossession plus ou moins accentuée : la stabilisation ou la montée en puissance de directions plus ou moins autocratiques, dont la désignation dispense les propriétaires d’un contrôle direct, constant et tatillon sur les journalistes pris un à un ou sur l’orientation éditoriale, du moins dans les périodes de faible conflictualité sociale et politique. Il suffit de mettre à la bonne place des responsables ajustés à leur fonction pour que ceux-ci la remplissent sans qu’il soit nécessaire de les rappeler constamment à l’ordre. Et ce qui est vrai des médias privés l’est également, on l’a compris, des médias publics, quand la nomination des PDG dépend directement (ou par CSA interposé) du pouvoir politique.
Enfin, les pressions qui résultent directement de l’affaiblissement interne des rédactions les rendent particulièrement vulnérables à toutes les autres, et en particulier celles qui résultent de la concurrence qu’exercent des professions limitrophes.
En effet, les journalistes ont toujours dû tenter de démarquer leur activité d’autres activités. C’est ainsi que sont déclarées officiellement incompatibles avec le statut de journaliste professionnel les fonctions d’agent de publicité, de chargé de relations publiques et d’attaché de presse. Mais ces concurrents ne sont pas seulement des rivaux. Non seulement ces professionnels de la communication, dont le nombre excède celui des journalistes professionnels, ont été formés pour la plupart dans des écoles de journalisme ou dans des départements d’ « info-com », et disposent des mêmes compétences que les journalistes professionnels, mais ils s’adossent à des entreprises ou à des institutions souvent beaucoup plus performantes que les entreprises médiatiques : comment s’étonner si les journalistes, de gré ou de force, doivent subir leurs pressions ? Pour quelques publireportages avérés, combien d’informations publiées sous l’emprise des communicants ? Que pèsent les résistances de journalistes individuels quand ils ne disposent pas collectivement des moyens, et trop souvent de la volonté de mener des enquêtes indépendantes ?
Nouvelles technologies : l’émancipation ?
Aucune technologie n’est par elle-même émancipatrice : les nouvelles possibilités qu’ouvrent les nouvelles technologies sont placées sous condition de leurs usages qui peuvent être aussi bien libérateurs que contraignants. Pis : la fascination qu’exercent les nouvelles technologies de production, de mise en forme et de diffusion de l’information masquent souvent de nouvelles vulnérabilités.
La révolution numérique et les nouvelles technologies qui lui sont associées ont des effets ambivalents. Elles permettent de multiplier les canaux et les formes de diffusion, de s’affranchir de la tyrannie des formats propres à chaque média et de diversifier les genres et les formes de l’information et du débat public, de favoriser l’émergence de nouveaux et nombreux acteurs de l’information, et, en particulier, d’un journalisme participatif qui oblige le journalisme traditionnel à se redéfinir et à redéfinir les frontières du professionnalisme.
Mais, dans le même temps, le journalisme participatif, rarement et chichement rémunéré, n’est souvent qu’une forme demi-habile de réduction des effectifs de journalistes salariés et de déstabilisation des rédactions. De même, l’introduction de nouvelles technologies peut se traduire par une détérioration des conditions de travail. De surcroît, les sites adossés à des médias imprimés ou audiovisuels, quand ils ne se bornent pas à rediffuser, souvent contre abonnement, les contenus de ces derniers, se comportent en médias de flux où des « petites mains » recyclent des dépêches d’agences.
Quant aux sites indépendants, rares sont ceux qui – à l’instar de Mediapart par exemple – reposent sur une rédaction qui se dédie à l’information et à l’enquête originales. Les blogs, enfin, qu’ils soient ou non associés à des sites professionnels, peuvent eux aussi donner le change. Comment ne pas se féliciter de l’expansion de l’expression et du débat démocratiques qu’ils favorisent ? Mais pourquoi taire que si on leur doit une multiplication exponentielle de chroniqueurs et d’éditorialistes, ils contribuent à étendre l’empire du commentaire, sans enrichir autant qu’on laisse entendre, la qualité de l’information et de l’investigation, et en particulier de l’enquête sociale ?
* * *
Dès lors que, dans nombre de médias, les effectifs maigrissent, que les licenciements se multiplient, que les menaces sur l’emploi s’accroissent, que les conditions de travail se détériorent, que les choix économiques et les orientations éditoriales obéissent à des motivations de plus en plus mercantiles qui échappent, à des degrés divers, aux journalistes pris collectivement, et que les nouvelles technologies sont porteuses de potentialités nouvelles, mais contrariées, voire retournées contre les journalistes eux-mêmes, ces journalistes subissent une dépendance collective.
Certes, même sur Sirius, les journalistes ne jouiraient d’une totale indépendance et ne pourraient pas se soustraire à toutes les pressions. Faut-il se résigner, comme le font ceux à qui le marché tient lieu de cerveau, à laisser libre cours, sans les contrecarrer, à ces tendances lourdes ? Faut-il accepter que les journalistes subissent de plein fouet les conséquences des formes néo-libérales du salariat ? Faut-il se satisfaire de l’affaiblissement collectif des rédactions face aux pouvoirs économique et politique, et à ces nouveaux chiens de garde qui les représentent et les protègent ? Les réponses se trouvent dans les questions.
Comment contrecarrer ces tendances ? Par une appropriation démocratique des médias. Selon quelles modalités ? C’est une autre affaire [1].
Henri Maler
Emprises, dépendances
Les formes les plus visibles de l’emprise des pouvoirs politique et économique sur les médias et les journalistes sont connues. Cette emprise s’exerce ouvertement quand les médias sont assujettis à un pouvoir politique qui décide de la nomination des responsables de l’audiovisuel public et s’abrite derrière un organisme croupion et fantoche (le Conseil supérieur de l’audiovisuel) ; un pouvoir qui, de surcroît, place des journalistes sous surveillance et leur impose une loi limitative et arbitraire sur le secret des sources. Cette emprise s’exerce manifestement quand les médias sont dépendants de propriétaires privés qui tentent d’en faire des leviers d’influence politique et la source de profits.
Mais les censures les plus manifestes et les pressions les plus contraignantes qui peuvent s’exercer sur des journalistes plus ou moins isolés et parfois jaloux de préserver cet isolement, rebaptisé « indépendance », ne sont pas l’essentiel. S’il existe bel et bien des formes de subordination individuelle des journalistes, soumis à l’intervention directe de leur hiérarchie, aux injonctions des propriétaires et aux interventions des responsables politiques, la plupart d’entre eux, dans nombre d’entreprises médiatiques, ne sont pas directement tenus en laisse : personne ne leur tient les mains, quand leurs doigts s’agitent sur le clavier de leur ordinateur, ou ne leur susurre à l’oreille ce qu’ils doivent dire, du moins dans les reportages. Mais cette relative indépendance individuelle ne doit pas dissimuler les contraintes intériorisées qui la hantent, et la dépendance collective des rédactions qui la mine.
Concentration, financiarisation
Tout ne s’explique pas par l’économie, mais rien ne s’explique sans elle. Comment nier que dans des médias de plus en plus concentrés et financiarisés, les journalistes sont de plus en plus fragilisés et dépendants ? Les concentrations des médias ont pour moteur leur financiarisation. Leur appropriation par de grands groupes privés a pour finalité de les rendre non seulement rentables, mais profitables. Pour le dire simplement, l’objectif n’est pas seulement de dégager un chiffre d’affaire qui permette de payer les salariés et d’investir pour accroître les capacités d’informer, mais de dégager des taux de profit équivalents à ceux qui existent dans les secteurs de pointe de l’économie.
Ces tendances pèsent non seulement dans l’audiovisuel et la presse magazine, mais également dans la presse écrite généraliste, notamment nationale, qui, à défaut d’être profitable et même souvent rentable, tente de sauver ce qui peut l’être, en se soumettant à des groupes financiers. Ces groupes s’approprient des « marques » qui peuvent être déficitaires, avec pour objectif de les intégrer à des stratégies englobant plusieurs types de médias. Les conséquences sont considérables à la fois sur la nature de l’information produite, sur les conditions de sa production et sur les métiers de l’information. Parmi ces conséquences, les pressions qui s’exercent sur les journalistes en raison de processus de rentabilisation, d’intensification du travail et de l’introduction des formes néolibérales du salariat et du management sont évidentes. On l’oublie trop souvent : à bien des égards, les entreprise médiatiques sont des entreprises comme les autres… et parfois pire que bien d’autres.
Précarisation, dépossession
Particulièrement sensibles dans la presse écrite, les licenciements massifs et les menaces de licenciement, la réduction des effectifs et l’expansion du journalisme précaire fragilisent les rédactions.
Alors qu’il avait connu une progression remarquable pendant les décennies précédentes, le nombre de journalistes encartés a diminué pour la première fois en 2010 et cette diminution s’est confirmée en 2011. En revanche, la proportion de journalistes précaires – en CDD ou pigistes – n’a cessé de croître. Et si la féminisation du journalisme s’est poursuivie, ce sont les femmes qui se trouvent dans les situations les plus précaires. Ce sont désormais plus de 20 % de journalistes précaires qui sont officiellement encartés, auxquels il convient d’ajouter tous ceux qui ne le sont pas (parce qu’ils ne tirent pas 50 % de leurs revenus de leur activité dans une entreprise de presse) et l’armée de réserve des stagiaires et des correspondants de presse. La plupart des journalistes précaires, qu’ils se soumettent aux formes dominantes du journalisme et à sa hiérarchie, en devançant ses exigences ou que, récalcitrants, ils les subissent… « parce qu’il faut bien vivre », sont particulièrement vulnérables et perméables à toutes les pressions. Ils exercent à leur tour une pression interne sur ceux qui, en CDI, rechigneraient encore à s’adapter.
Une telle situation contribue à aggraver la dépossession croissante des rédactions sur les choix non seulement économiques, mais également éditoriaux de chaque média. Ce n’est pas totalement nouveau dans tous les médias. Mais il vaudrait la peine de décrire longuement les processus par lesquels la logique de l’audience commerciale qui prévaut dans l’audiovisuel privé et de la concurrence mimétique que lui livre l’audiovisuel public ont renforcé en leur sein le poids des chefferies éditoriales et des présentateurs, au point de vider peu à peu de substance l’existence collective des rédactions. Il faudrait aussi s’attarder longuement pour montrer comment la prise de pouvoir des investisseurs privés dans des journaux comme Le Monde ou Libération ont privé d’effectivité les droits réduits dont disposent encore leurs sociétés de rédacteurs, soumises à des chantages et des pressions périodiques. Que dire alors de ce qui se passe dans d’autres titres ?
Dépendance interne, concurrence externe
Effet et condition de cette dépossession plus ou moins accentuée : la stabilisation ou la montée en puissance de directions plus ou moins autocratiques, dont la désignation dispense les propriétaires d’un contrôle direct, constant et tatillon sur les journalistes pris un à un ou sur l’orientation éditoriale, du moins dans les périodes de faible conflictualité sociale et politique. Il suffit de mettre à la bonne place des responsables ajustés à leur fonction pour que ceux-ci la remplissent sans qu’il soit nécessaire de les rappeler constamment à l’ordre. Et ce qui est vrai des médias privés l’est également, on l’a compris, des médias publics, quand la nomination des PDG dépend directement (ou par CSA interposé) du pouvoir politique.
Enfin, les pressions qui résultent directement de l’affaiblissement interne des rédactions les rendent particulièrement vulnérables à toutes les autres, et en particulier celles qui résultent de la concurrence qu’exercent des professions limitrophes.
En effet, les journalistes ont toujours dû tenter de démarquer leur activité d’autres activités. C’est ainsi que sont déclarées officiellement incompatibles avec le statut de journaliste professionnel les fonctions d’agent de publicité, de chargé de relations publiques et d’attaché de presse. Mais ces concurrents ne sont pas seulement des rivaux. Non seulement ces professionnels de la communication, dont le nombre excède celui des journalistes professionnels, ont été formés pour la plupart dans des écoles de journalisme ou dans des départements d’ « info-com », et disposent des mêmes compétences que les journalistes professionnels, mais ils s’adossent à des entreprises ou à des institutions souvent beaucoup plus performantes que les entreprises médiatiques : comment s’étonner si les journalistes, de gré ou de force, doivent subir leurs pressions ? Pour quelques publireportages avérés, combien d’informations publiées sous l’emprise des communicants ? Que pèsent les résistances de journalistes individuels quand ils ne disposent pas collectivement des moyens, et trop souvent de la volonté de mener des enquêtes indépendantes ?
Nouvelles technologies : l’émancipation ?
Aucune technologie n’est par elle-même émancipatrice : les nouvelles possibilités qu’ouvrent les nouvelles technologies sont placées sous condition de leurs usages qui peuvent être aussi bien libérateurs que contraignants. Pis : la fascination qu’exercent les nouvelles technologies de production, de mise en forme et de diffusion de l’information masquent souvent de nouvelles vulnérabilités.
La révolution numérique et les nouvelles technologies qui lui sont associées ont des effets ambivalents. Elles permettent de multiplier les canaux et les formes de diffusion, de s’affranchir de la tyrannie des formats propres à chaque média et de diversifier les genres et les formes de l’information et du débat public, de favoriser l’émergence de nouveaux et nombreux acteurs de l’information, et, en particulier, d’un journalisme participatif qui oblige le journalisme traditionnel à se redéfinir et à redéfinir les frontières du professionnalisme.
Mais, dans le même temps, le journalisme participatif, rarement et chichement rémunéré, n’est souvent qu’une forme demi-habile de réduction des effectifs de journalistes salariés et de déstabilisation des rédactions. De même, l’introduction de nouvelles technologies peut se traduire par une détérioration des conditions de travail. De surcroît, les sites adossés à des médias imprimés ou audiovisuels, quand ils ne se bornent pas à rediffuser, souvent contre abonnement, les contenus de ces derniers, se comportent en médias de flux où des « petites mains » recyclent des dépêches d’agences.
Quant aux sites indépendants, rares sont ceux qui – à l’instar de Mediapart par exemple – reposent sur une rédaction qui se dédie à l’information et à l’enquête originales. Les blogs, enfin, qu’ils soient ou non associés à des sites professionnels, peuvent eux aussi donner le change. Comment ne pas se féliciter de l’expansion de l’expression et du débat démocratiques qu’ils favorisent ? Mais pourquoi taire que si on leur doit une multiplication exponentielle de chroniqueurs et d’éditorialistes, ils contribuent à étendre l’empire du commentaire, sans enrichir autant qu’on laisse entendre, la qualité de l’information et de l’investigation, et en particulier de l’enquête sociale ?
Dès lors que, dans nombre de médias, les effectifs maigrissent, que les licenciements se multiplient, que les menaces sur l’emploi s’accroissent, que les conditions de travail se détériorent, que les choix économiques et les orientations éditoriales obéissent à des motivations de plus en plus mercantiles qui échappent, à des degrés divers, aux journalistes pris collectivement, et que les nouvelles technologies sont porteuses de potentialités nouvelles, mais contrariées, voire retournées contre les journalistes eux-mêmes, ces journalistes subissent une dépendance collective.
Certes, même sur Sirius, les journalistes ne jouiraient d’une totale indépendance et ne pourraient pas se soustraire à toutes les pressions. Faut-il se résigner, comme le font ceux à qui le marché tient lieu de cerveau, à laisser libre cours, sans les contrecarrer, à ces tendances lourdes ? Faut-il accepter que les journalistes subissent de plein fouet les conséquences des formes néo-libérales du salariat ? Faut-il se satisfaire de l’affaiblissement collectif des rédactions face aux pouvoirs économique et politique, et à ces nouveaux chiens de garde qui les représentent et les protègent ? Les réponses se trouvent dans les questions.
Comment contrecarrer ces tendances ? Par une appropriation démocratique des médias. Selon quelles modalités ? C’est une autre affaire [1].
Henri Maler
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