La guerre pétrolière oubliée du Soudan, « c'est le pétrole, andouille »
Par Abdus Sattar Ghazali, le 7 mars, 2008
« Le problème du pétrole au Darfour n'est pas très différent du problème du pétrole ailleurs, » dit Mike Aaronson, directeur général de l'ONG britannique Save the Children. « C'est virtuellement une formidable bénédiction et, potentiellement, un immense handicap. Ce n'est pas sans raison que les gens parlent de la malédiction du pétrole. La réalité est que de nombreux pays ayant le plus de richesses minières sont aussi ceux qui ont des conflits. » Les nouvelles découvertes pétrolières rajoutent de nouveaux tours à la tragédie du Darfour, par Ruth Gidley, le 15 juin 2005.
La guerre pétrolière oubliée du Soudan est de nouveau d'actualité. De nouveaux affrontements, entre les unités du Mouvement de Libération du Peuple du Soudan et les combattants de la communauté Misseriya, dans la riche région pétrolière d'Abyei, ont laissé des dizaines de morts et les deux parties s'échangent des reproches sur la responsabilité des dernières escarmouches.
Les affrontements meurtriers dans la région explosive d'Abyei font naître la crainte de la reprise du conflit alors que la tension entre le nord et le sud ainsi que le bras de fer acharné se poursuivent au-dessus des lois dans la région d'Abyei.
Les combats dans les régions frontalières nord-sud d'Abyei, arrêtés suite à la signature d'un accord de paix global en janvier 2005, qui a mis fin à 21 ans de guerre qui auraient coûté la vie d'environ deux millions de gens et en auraient déplacé quelque quatre millions.
Le calme relatif a facilité l'exploitation des réserves pétrolières de la région. Les compagnies pétrolières étasuniennes connaissent la richesse pétrolière du Soudan depuis les années 70, quand Chevron a découvert les grands gisements pétroliers dans le sud. La société estimait que, « Le Soudan possède plus de pétrole que l'Arabie Saoudite et l'Iran. »
Fait révélateur, alors que la longue guerre au Sud Soudan établissait une impasse, les rebelles de la région ouest du Darfour, organisés en Mouvement/Armée de Libération du Soudan et en Mouvement pour la Justice et l'Égalité, se soulevaient contre Khartoum en 2003. Les groupes rebelles ont des liens avec les anciens rebelles pro-occidentaux du Sud Soudan qui mènent une guerre civile contre le gouvernement central depuis plus de dix ans. La guerre au Darfour n'est évidemment pas venue de nulle part. Il est connu que le Soudan possède d'importantes réserves pétrolières toujours inexploitées. En avril 2005, le Soudan annonçait le début des forages pétroliers au Darfour par sa société ABCO, détenue à 37 pour cent par la société suisse Clivenden.
Les médias de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis ont écrit beaucoup de choses sur la souffrance dans la région du Darfour. Mais ils ont écrit très peu de choses sur les intérêts économiques que ces trois pays ont dans le pétrole récemment découvert dans cette partie de l'Afrique.
Les sociétés pétrolières et le Pentagone ne peuvent justifier une intervention contre le Soudan basée sur le désir de dominer les ressources naturelles de ce pays. Ils doivent recourir à des slogans humanitaires. « Arrêtons le génocide » ou « Protégeons les droits des minorités ethniques » sonnent mieux.
Les gens aux États-Unis et en Occident ont été régulièrement matraqués par les présumés crimes commis par le gouvernement soudanais. D'après la plupart des médias, au moins 200.000 personnes seraient mortes dans la région soudanaise du Darfour depuis le début du conflit en 2003.
Quels que soient les chiffres réels, il y a sans aucun doute une crise humanitaire. Le manque de nourriture, d'eau et de terres arables dans la région ont contribué à la situation. Mais même l'Organisation des Nations Unies reconnaît que le conflit n'est pas un « génocide. » En 2004, une mission d'un groupe de cinq hommes de l'ONU, dirigée par le juge italien Antonio Cassese, signalait qu'aucun génocide n'avait été commis au Darfour, mais plutôt de graves atteintes aux droits humains. C'est une guerre qui découle de la réalité économique du Soudan.
L'administration Bush, insistant sur le fait qu'un génocide est en cours au Darfour depuis 2003, a demandé le déploiement de Casques Bleus de l'ONU là-bas, pour remplacer l'inefficace force de l'Union Africaine. Le Soudan s'est opposé aux forces de l'ONU jusqu'à ce que le Président Bush annonce le 29 mai 2007 qu'il allait imposer unilatéralement de nouvelles sanctions économiques contre le Soudan, parce qu'il s'oppose au déploiement de l'ONU et ne met pas fin à son soutien aux milices janjaweed. Trois semaines plus tard, le Soudan annonçait être parvenu à un marché avec l'Organisation des Nations Unies, permettant à une force internationale de 20.000 hommes de consolider les 7.000 membres de l'incapable force de l'Union Africaine.
Les États-Unis entretiennent un embargo commercial contre le Soudan depuis 1997, de sorte qu'ils n'ont aucun investissement légal dans ce pays. Cliveden, la plus grande partie prenante de l'entreprise ABCO (qui prospecte le pétrole au Darfour), est une société suisse, mais une enquête de la télévision britannique Channel 4 a révélé que Friedholm Eronat, le chef de l'exécutif de Cliveden, a troqué son passeport étasunien contre un britannique peu avant la signature d'un marché pétrolier avec le gouvernement de Khartoum en octobre 2003.
La connexion chinoise
La diplomatie liée au pétrole de la Chine est un autre facteur important des relations US-soudanaises. La Chine est le plus grand investisseur au Soudan. Elle achète 80 pour cent de sa production pétrolière. Washington accuse Pékin de vouloir « garantir son pétrole aux sources, » quelque chose qui préoccupe la politique étrangère de Washington depuis au moins un siècle.
Les États-Unis considèrent la Chine comme leur concurrent le plus pressant sur le pétrole du Soudan. La Chine a aidé le Soudan a développer son industrie exportatrice de pétrole indépendamment des États-Unis. Sans surprise, autoriser une puissance mondiale rivale, comme la Chine, à influencer un pays africain doté de grandes fournitures pétrolières, s'oppose au but des États-Unis : contrôler purement et simplement les principales ressources pétrolières.
China National Petroleum Company (CNPC) de Pékin, est le plus grand investisseur étranger du Soudan, avec quelque 5 milliards de dollars dans le développement de gisements pétroliers. Depuis 1999, la Chine a investi au moins 15 milliards de dollars au Soudan. Elle détient 50% d'une raffinerie pétrolière près de Khartoum avec le gouvernement du Soudan.
La Chine joue différents rôles au Soudan et dans d'autres pays africains. Elle a en fait contribué au développement économique du Soudan, tout en servant ses propres besoins pétroliers. Avec plus de 1,3 billions de dollars, surtout en réserves de dollars, la Chine est généreuse dans la distribution de prêts souples, sans intérêt ou carrément de subventions, à certains des plus pauvres États débiteur de l'Afrique. Les prêts vont aux infrastructures, notamment aux routes, hôpitaux et écoles, en contraste absolu avec l'austérité brutale des exigences du FMI et de la Banque mondiale. En 2006, la Chine engageait plus de 8 milliards de dollars au Nigeria, en Angola et au Mozambique, contre les 2,3 milliards de la Banque Mondiale pour toute l'Afrique subsaharienne. Contrairement à la Banque Mondiale, une arme de fait de la politique économique étrangère étasunienne, la Chine n'attache aucune condition à ses prêts.
Fait révélateur, les pays africains commencent maintenant à soutenir que la Banque Mondiale et le FMI ont perdu tout bien-fondé pour eux puisqu'ils peuvent obtenir des offres d'aides et des investissements de la Chine, sans les conditions attachées à l'argent par les organisations financières internationales avalisées par les États-Unis.
Opérations secrètes étasuniennes
La guerre au Soudan implique à la fois, de la part des États-Unis, des opérations clandestines et la formation de factions « rebelles » en provenance du Sud Soudan, du Tchad, d'Éthiopie et d'Ouganda. F. William Engdahl, l'auteur du livre [en français] : Pétrole une guerre d'un siècle : L'ordre mondial anglo-américan, fournit un aperçu sur les opérations secrètes étasuniennes au Sud Soudan et au Darfour :
Les États-Unis, agissant par l'intermédiaire d'alliés suppléants du Tchad et des États voisins, ont formé et armé l'Armée de Libération du Peuple du Soudan, dirigée jusqu'à sa mort en juillet 2005 par John Garang, formé à l'école des Forces Spéciales des États-Unis, à Fort Benning en Géorgie [USA].
En inondant d'armes d'abord le Sud Soudan, l'est et depuis la découverte de pétrole au Darfour cette la région aussi, Washington alimente des conflits qui font des dizaines de milliers de morts et poussent plusieurs millions de gens à fuir leur pays. L'Érythrée héberge et soutient l'Armée de Libération du Peuple du Soudan, l'Alliance Démocratique Nationale, parapluie du groupe d'opposition, le Front de l'Est et les rebelles du Darfour.
Le Pentagone est chargé de former les officiers africains aux États-Unis, tout comme cela se passe pour les officiers latino-américains depuis des décennies. Son programme International Military Education and Training dispense une formation aux officiers du Tchad, d'Éthiopie, d'Érythrée, du Cameroun et de République Centrafricaine, en fait, de tous les pays aux frontières du Soudan. Une grande partie des armes qui alimentent les tueries du Darfour et du sud ont été amenées par l'intermédiaire d'obscurs « marchands de mort » protégés et privés, comme Victor Bout, l'ancien agent du KGB de triste notoriété, maintenant en fonction aux États-Unis. Bout a été cité à maintes reprises au cours des dernières années pour vente d'armes à travers l'Afrique. Les fonctionnaires du gouvernement l'ont étrangement laissé poursuivre ses opérations au Texas et en Floride en dépit du fait qu'il est sur la liste des individus recherchés par Interpol pour blanchiment d'argent.
L'aide au développement étasunienne pour toute l'Afrique subsaharienne, notamment au Tchad, a été nettement réduite ces dernières années, alors que son aide militaire augmentait. La ruée sur le pétrole et les matières premières stratégiques en est la raison évidente. La région du Sud Soudan depuis le Haut Nil jusqu'aux frontières du Tchad est riche en pétrole. Washington le savait bien avant le gouvernement soudanais.
Il est bien connu que l'Éthiopie est l'un des pays les plus actifs dans les 21 ans de la longue guerre nord-sud.
L'Érythrée est soupçonné d'avoir soutenu le mouvement séparatiste Beja au nord du Soudan. L'Ouganda, qui prétend que Khartoum soutient l'Armée de Résistance de Dieu, qui se bat contre son administration, serait parmi les pays aidant les groupes d'opposition au Soudan .
Les 7 millions d'habitants du Darfour se composent de plus de 80 minorités ethniques et groupes religieux. Certains groupes ont des relations de parenté avec les pays voisin. Idriss Deby, le Président tchadien, est membre de la tribu des Zaghawa du Darfour. Il est dit que les trois présidents, qui détenait le pouvoir au Tchad, dirigeaient leurs combats depuis le Darfour.
Selon Engdahl, en regardant de près, les préoccupations actuelles de l'administration de Washington à propos du Darfour, ne sont pas une véritable crainte de génocide contre le peuple de la plus pauvres des pauvres partie abandonnées de l'Afrique. Non ! « C'est le pétrole, andouille. »
Le Soudan est le plus grand État géographique d'Afrique, près d'un tiers de la taille des États-Unis, avec une petite population de seulement 30 millions d'individus.
Abdus Sattar Ghazali est le rédacteur en chef du magazine en ligne American Muslim Perspective : www.amperspective.com Courriel : asghazali@gmail.com