Nous observons d’abord chez les pays participants une vision floue des objectifs à poursuivre et des moyens à mettre en œuvre. Il existe des désaccords profonds entre pays du Nord et pays du Sud, mais les Pays du Nord sont eux mêmes divisés. Le dossier du GIEC, qui est censé inspirer les mesures politiques à prendre, est miné par de récentes découvertes, publications ou déclarations scientifiques qui tendent à infirmer les certitudes affichées jusqu’ici. Il y a enfin le scandale du Climate Research Unit (le "climategate") qui empoisonnera probablement l’atmosphère de la Conférence.
Mais quel objectif poursuit-on à Copenhague ?
La Conférence devait constituer l’aboutissement d’un processus de négociations, commencé à Bali, le 30 novembre 2007, et s’achever par la signature d’un traité donnant un prolongement au Protocole de Kyoto, signé en 1998 et en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012. Mais aucune des parties ne croit plus possible une telle issue. Tout au plus Copenhague sera une étape vers un traité que l’ONU espère voir signer en 2010, l’année 2011 paraissant plus plausible à bon nombre d’observateurs. Le Secrétaire Exécutif de la CCNUCC, Yvo de Boer, a redéfini un objectif en quatre points :
1 – De quelle quantité les pays développés veulent-ils réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ?
2- Dans quelles proportions les pays en développement, tels que la Chine et l’Inde vont-ils limiter l’augmentation de leurs émissions ?
3- De quelles aides [financières et technologiques], offertes par les pays développés, les pays en développement ont-ils besoin pour s’engager à limiter leurs émissions et à s’adapter aux impacts du changement climatique ?
4 Comment cet argent sera-t-il géré ?
La conclusion d’un accord scellant ces quatre points, selon M de Boer, ferait de la Conférence un succès. Mais même ces espoirs risquent fort d’être déçus.
Les réductions d’émissions des pays développés : disparates et insuffisantes.
Lors de l’étape de Poznań, Pologne, en fin 2008, la Conférence des Parties à la CCNUCC avait défini une fourchette de réduction d’émissions de 25% à 40 % pour 2020, pour les seuls pays développés, et une réduction de 50% en 2050, pour l’ensemble des pays (75% pour les pays développés). Il ne s’agissait pas d’un traité, mais d’une déclaration incluse au communiqué final, nombre de pays développés ne considérant cette communication que comme un repère non contraignant, alors que la Chine et l’Inde tiennent ces valeurs pour actées.
A ce jour, seule l’Union européenne a légiféré dans ce domaine par la directive du Paquet Energie Climat de décembre 2008, qui prévoit une réduction des émissions de 20% par rapport à l’année de référence 1990, qui pourrait être portée à 30 % en cas d’accord entre les nations à Copenhague. Toutefois, la répartition de ces quotas entre les pays membres n’a pas encore été abordée. Aux USA, le projet de loi climatique dit Waxman Markey Bill prévoit une réduction des émissions de 20 % en 2020, mais par rapport à l’année de référence 2005. Or les émissions de ce pays sont passées de 5200 millions de tonnes en 1990 à 6200 millions de tonnes en 2005 (source), soit plus de 19% d’augmentation. Cela signifie que les Etats Unis entendent seulement limiter leurs émissions au niveau atteint en 1990. Or le débat sur la loi Waxman Markey a été repoussé à l’année prochaine, et les sénateurs lui semblent de plus en plus défavorables. Les résistances sont particulièrement vives et les lobbys charbonniers actifs dans maints états producteurs ou consommateurs de houille. Manifestement, le Président Obama, qui se rend à Copenhague les mains bien vides, n’est plus maître de la situation.
Ajoutons que l’Australie vient de rejeter à une forte majorité un texte sur des quotas d’émission et le "cap and trade", alors qu’il s’agit du pays où la consommation d’énergie fossile est la plus forte au monde, par habitant (à égalité avec ceux des Etats Unis). La Russie a convenu de réduire ses émissions de 25% par rapport à 1990 (cela ne lui est pas bien difficile, vu qu’elle se situe actuellement à -29%). Le nouveau gouvernement japonais de M. Yukio Hatoyama a pris le contrepied de son prédécesseur en faisant voter une réduction d’émissions de 25% pour 2020.
25% au Japon et en Russie, 20 à 30 % en Union européenne, 0% aux USA (22% des émissions mondiales !), en Australie et en Nouvelles Zélande : nous demeurons bien en dessous de la fourchette 25% à 40 % voulue par l’ONU et les pays en développement. Or de quelle marge de manœuvre dispose un Obama contraint à la prudence par ses récents déboires, tant dans le domaine de sa loi climatique que dans celui de son dossier de sécurité sociale ? Il ne faut compter sur aucune bonne volonté de la part de l’Australie et de la Nouvelle Zélande. Bref, un accord sur le premier objectif de Monsieur de Boer est loin d’être acquis.
Quelles limitations d’émissions pour les pays en développement ?
Chez ces pays, la Chine conduit la concertation. Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud et Mexique sont très unis en vue de la négociation de Copenhague. Ce sont les pays disposant des ressources industrielles les plus importantes parmi les pays en développement. La Chine émet 24% du CO2 mondial, et l’Inde 6,5 %. A eux tous, les pays en développement dépassent 50% des émissions. Dans leur majorité, ils ne prennent pas d’engagements pour 2020. La Chine, toutefois, qui refusait toute idée de limitation en juillet dernier, avance aujourd’hui l’objectif de réduire son "intensité carbonique" de 40% à 45% par rapport à l’année 2005.
Qu’entend-elle exactement par intensité carbonique ? Cela veut dire que la Chine s’efforcera de limiter le taux croissance de ses émissions annuelles à 55-60% seulement du taux de croissance de son PIB. Or son objectif est de continuer sur la base d’une croissance économique de 8% l’an, ce qu’elle est fort capable de réaliser. Dans ses conditions, son PIB augmenterait, en 2020, de 217% par rapport à celui de 2005, tandis que ses émissions de CO2 augmenteraient de 102% par rapport à la référence de 2005 ! Lorsque nos médias crient victoire à l’annonce de cette décision chinoise "historique", il convient donc de relativiser. Or il est assez probable que les pays développés accepteront cette proposition chinoise, et se montreront conciliants dans l’octroi d’aides financières et technologique aux pays en développement, en fait essentiellement à la bande des cinq (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Mexique).
Supposons maintenant que toutes les bonnes résolutions manifestées ci-dessus se confirment au cours des négociations dont Copenhague ne sera que le commencement, c’est-à-dire avec un Waxman Markey Bill voté par le Sénat et la Chambre des représentants dans les mêmes termes, des pays qui respectent scrupuleusement leurs engagements, nous aurions en 2020 la situation suivante, par rapport à 2005 (indice 100) :
2005 | 2020 |
Pays développés | 56,5 | 45,7 |
Pays en développement | 43,5 | 83,1 |
TOTAL | 100 | 129,8 |
Les émissions de CO2 auraient donc cru de +30% par rapport à la référence de 2005 (et beaucoup plus par rapport à celle de 1990 !), et les pays en développement totaliseraient 65 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, contre 35% aux pays développés. Il est assez probable d’ailleurs que cette évolution sera due en partie grâce aux délocalisations d’industries gourmandes en énergie des pays développés (les appellera-t-on encore ainsi ?) vers les pays en développement ! Ainsi pourraient se produire, tout naturellement, nos transferts de technologie.
Pays développés : et maintenant, passez à la caisse !
Si la Chine et ses alliés condescendent à faire un effet d’annonce avec leurs modérations d’intensité carbonique, ce n’est bien sur que pour obtenir des pays développés qu’ils ouvrent largement leur tiroir caisse. J’ai déjà évoqué (voir : "Tout savoir sur la taxe carbone et les véritables enjeux de Copenhague" ) l’exigence manifestée par la Chine de voir les pays développés consacrer 1% de leurs PIB à l’aide aux pays en développement pour leurs investissements verts. La position chinoise s’appuie sur les conclusions du rapport Stern, qui considère que cette contribution est nécessaire et suffisante pour éviter à la planète une catastrophe climatique, et c’est un pays développé, en l’occurrence le Royaume Uni , qui a commandé ce rapport et lui a donné une diffusion planétaire. La Chine et ses coalisés arguent également de la "responsabilité partagée, mais différenciée", reconnue et signée à Rio de Janeiro en 1992 par tous les pays développés, qui entérinent par là leur responsabilité dans l’accumulation de CO2 atmosphérique. Qui crée un dommage à autrui doit le réparer, n’est-ce pas ? Enfin, la Chine considère que le communiqué de Poznań qui fait état d’une fourchette de 0,5% à 1% des PIB des pays développés à consacrer à l’aide environnementale aux pays en développement constitue un engagement ferme des pays développés, en vertu, justement, de cette responsabilité différenciée.
Pour financer le développement vert des pays du Sud, la Commission européenne veut que l’ensemble des pays développés réunisse cent milliards d’euros par an. Cela représente quand même 92 euros par habitant et par an, nourrissons compris, et bien entendu nettement plus pour les riches habitants pays d’Europe occidentale, les USA, la Canada, le Japon. Que les contribuables ne s’angoissent pas trop quand même. Une bonne partie de cet argent serait prélevée sur des fonds jusqu’ici alloués à l’aide au développement : alphabétisation, santé, ressources en eau (The Guardian , Le Monde ), ce que les ONG environnementales dénoncent vivement … Ce n’est pas la première fois que la lutte contre le CO2 pille les caisses destinées à des programmes humanitaires essentiels et urgents : l’ONU est coutumière du fait !
L’Union Européenne devrait, en toute logique, fournir environ 40 % des cent millions annuels, du fait de sa population et de son PIB. Mais, crise économique oblige, les membres contributeurs se font pingres quant à leur part respective, et il semble bien, -sauf accord confidentiel intervenu à la dernière minute -, qu’elle se rende à Copenhague sans avoir réglé ce problème essentiel. Les difficultés proviennent notamment des pays anciens membres du Pacte de Varsovie, dont les revenus sont considérablement moins élevés que ceux de la partie occidentale du continent. Il est scandaleux, clament les Polonais, d’extorquer de l’argent aux pays pauvres d’Europe pour le donner aux pays pauvres des autres continents.
Et que donnerait la France ? Enfin, les contribuables français ? Cela se discutait à l’Assemblée Nationale, le 2 décembre dernier, lorsqu’un commando de trublions arborant les couleurs de Greenpeace envahit l’hémicycle pour vociférer, au nom de son organisation et de dix autres ONG,que la France devait donner 4,2 milliards d’euros annuels ! 135 euros par foyer fiscal : la taxe carbone qui s’évapore vers le Sud ! Les médias dominants n’annoncent jamais ce genre de chiffrage. Il faut bien, pourtant, que les citoyens le sachent.
Qui gérera l’aide financière aux pays en développement ?
Ce que l’ONU prévoit, et que le Groupe "ad Hoc" constitué pour préparer les textes à négocier à Copenhague propose, c’est que les Etats financeurs versent leurs contributions à une caisse commune gérée par l’ensemble des parties au futur traité (Il y a actuellement 187 membres à la CCNUCC). La CCNUCC étant gérée par les fonctionnaires de l’ONU, cette organisation aurait donc un rôle important à jouer dans l’attribution de ces fonds aux différents projets à financer.
Nous aurions donc 38 pays donateurs, pour environ 149 bénéficiaires potentiels, chacun de ces 187 pays disposant d’une voix. Les pays en développement feront la loi, et parmi eux, nombre de pays pauvres et très pauvres qui, depuis la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement par Maurice Strong, en 1972, se soumettent volontiers à l’influence bienveillante de l’ONU.
C’est cette disposition qui a provoqué l’intervention spectaculaire et grandiloquente de Lord Monckton of Benchley, il y a quelques jours (voir la video sur Youtube ). Pour l’ancien conseiller énergie de Margaret Thatcher, ce n’est ni plus ni moins que l’intronisation d’un gouvernement mondial confié à l’ONU qu’a préparé le groupe ad Hoc. Le dernier rapport connu de ce groupe contient 26 occurrences du terme "gouvernance mondiale", et son article 35 traite de cette caisse commune.
Si la création d’un fond géré par une organisation multinationale ne suffit pas à faire de cette organisation un gouvernement, il ne faut pas cependant rejeter l’avertissement du Lord. Rappelons que Margaret Thatcher a toujours lutté contre les abandons de souveraineté exigés par la Communauté européenne, et que c’est cette position qui causa son départ et son remplacement par un John Major plus conciliant. Monckton est nourri de l’esprit de Margaret Thatcher, et a sans cesse protesté contre les accroissements successifs des pouvoirs de l’Union européenne. Sur ce plan, comme sur celui du changement climatique, son message rejoint celui du Président de la République Tchèque, Vaclav Klaus, qui voit dans la manière dont se construit l’Europe d’aujourd’hui une évolution vers un système autoritaire pouvant déboucher un jour sur une dictature. Et Vaclav Klaus, comme Monckton, voit dans la géopolitique du changement climatique un des moyens utilisés par l’ONU et certains mondialistes pour évoluer vers un gouvernement mondial qui ne serait pas démocratique.
Copenhague ne va pas nous faire basculer d’un seul coup dans une dictature mondiale ! Mais l’ONU, et certaines organisations en font une étape d’une stratégie initiée au Sommet de Rio de 1992. C’est là bas que Maurice Strong, secrétaire général du Sommet, a fait voter l’Agenda 21, qui est un programme mondial de mesures environnementales à prendre dans chacun des pays, dans chaque région, et dans chaque ville de ces pays (voir : "Développement durable : rappel sur l’histoire d’un concept dévoyé"). On parle souvent de conspiration, ou de complot, préparant l’avènement d’un gouvernement mondial. Mais ces termes sont abusifs. Les tenants d’un tel gouvernement exposent publiquement leur point de vue, dans des publications qui, certes, ne touchent guère le grand public, mais qu’on peut se procurer facilement.
En fin de XXème siècle et au début du XXIème siècle, Kofi Annan et Maurice Strong ont voulu imposer une réforme de l’ONU qui aurait donné à l’organisation des pouvoirs supranationaux en matière d’environnement, de justice, de police et de pacification, de lui permettre de collecter directement des fonds par des taxes (une taxe carbone multinationale, la taxe Tobin, etc.), d’entretenir une armée et une police. Les deux hommes ont été sèchement désavoués par le Conseil de Sécurité, qui n’a conservé de leurs propositions que la création du Tribunal International de La Haye. Richard N Haas, Président du Council on Foreign Affairs (une organisation politique privée des USA), plaide en 2006 pour que l’on confie à l’ONU la responsabilité géopolitique de la lutte contre le réchauffement climatique, contre la prolifération nucléaire, le Terrorisme, les trafics de drogue internationaux (lire son article : "State Sovereignty must be altered in globalized era" ).Le champion du mouvement pour la gouvernance mondiale a été Mikhaïl Gorbatchev, après qu’il ait perdu le pouvoir en Union soviétique. Il a fondé la Croix Verte internationale, la Fondation Gorbatchev, et, avec Ted Turner, Maurice Strong et d’autres personnalités internationales, il a fondé la Commission of Global Neighborhood, dont la vie éphémère a donné naissance à un ouvrage intitulé "Our global Neighborhood", un projet de gouvernement mondial sous l’égide de l’ONU (ISBN 0-19-827998-1 ; publication Oxford University Press, 1995). Une autre approche est la "Théorie de l’Empire Global" professée par Bzigniew Brzezinski, qui prévoit l’extension du pouvoir des Etats Unis, alliés à l’Europe et au Japon, pour évoluer progressivement vers un gouvernement mondial (Le Grand Echiquier, ISBN 978-2-01-278944-9). La construction européenne constitue pour ces idéologues un véritable laboratoire, et le modèle à suivre pour confédérer les grandes régions du monde (ALENA, Afrique subsaharienne, pays d’Islam…) qui seraient chapeautées par une instance gouvernante globale.
C’est ce processus que Lord Monckton veut tenter de stopper. Je décris, dans mon livre "la Servitude Climatique" , comment le changement climatique est utilisé comme fer de lance dans ce projet globalisateur :
"La gestion de l’affaire climatique doit faire réfléchir aux risques que les nations prendraient en se dessaisissant de pouvoirs essentiels au bénéfice de l’ONU. En confiant à l’ONU le monopole de l’expertise en matière de climat, les sept nations maîtresses lui ont accordé un pouvoir exorbitant par rapport au mandat que lui confiait la Charte des Nations Unies de 1945. Imaginons qu’à la mission d’expertise s’ajoute un pouvoir réglementaire et exécutif, sans que les citoyens n’aient de pouvoir de contrôle sur les prises de décision qui concernent leur vie quotidienne…".
("La Servitude Climatique", JM Bélouve, pages 338-339)
Là, probablement, réside l’enjeu capital de Copenhague…
Article publié le 7 décembre sur Institut Turgot et Institut Hayek.