Article paru
le 11 janvier 2008
Dans L'Humanité
Sans surprise, l’Assemblée nationale a adopté, dans la nuit de mercredi à jeudi, le projet de loi Dati sur la « rétention de sûreté », renforcé par plusieurs amendements. Bâti sur l’émotion suscitée par quelques faits divers sordides, le texte offre la possibilité de placer dans des centres « socio-médico-juridiques », pour une durée d’un an renouvelable indéfiniment, les criminels jugés encore « dangereux » à leur sortie de prison.
Initialement, seuls les auteurs de crimes - notamment sexuels - sur les mineurs de moins de quinze ans étaient concernés par cette mesure. Mais fin novembre, l’émoi suscité par la mort d’une jeune femme, tuée par un violeur dans le RER D, a poussé le rapporteur UMP, Georges Fenech, à durcir le texte. L’amendement accepté par le gouvernement mercredi soir élargit donc la mesure à tous les crimes aggravés sur majeurs, punis de quinze ans de prison et plus. Un véritable revirement. « Le 11 décembre, a réagi Michel Vaxès (PCF) à l’attention de Rachida Dati, vous déclariez devant la commission des lois que cet élargissement s’exposerait au risque d’inconstitutionnalité en raison de la difficulté de définir la notion de dangerosité. Mais aujourd’hui, vous soutenez les amendements rendant cet élargissement possible ! »
De même, pour rester dans les clous de la constitution, la « rétention de sûreté » ne devait concerner initialement que les personnes condamnées après la promulgation de la loi. Et ce, au nom du principe de non-rétroactivité d’une loi. Conséquence : les détenus n’auraient « bénéficié » de la nouvelle mesure que dans quinze ans minimum. Las, un amendement a été voté pour permettre l’application immédiate du projet de loi pour les criminels récidivistes. Le risque de censure du Conseil constitutionnel ? Georges Fenech veut croire qu’il est évité : « La rétention est une mesure de sûreté et non pas une peine, on ne peut donc pas parler de rétroactivité. » Voire…
Le débat en séance a donné lieu à de nombreux remous. La gauche a dénoncé un « texte d’affichage, destiné à rassurer l’opinion publique ». « Vous, madame la ministre, vous, monsieur le rapporteur, anciens magistrats (…), vous choisissez Lombroso et son "homme criminel’’. C’est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l’Allemagne nazie », a fustigé Elisabeth Guigou (PS), en référence au criminologiste italien du XIXe siècle, Cesare Lombroso. Même certains députés UMP, comme Françoise Hostalier et François Goulard, ne cachaient pas leur scepticisme. « On en fait trop, concède anonymement un responsable parlementaire UMP. Toutes les semaines, il y a un texte sur le droit pénal. C’est du mauvais travail. »
Hors de l’Assemblée, les réactions continuent d’affluer. Dans une note rendue publique le 4 janvier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’inquiéte « de l’introduction au coeur de la procédure pénale du concept flou de "dangerosité’’ ». Et rappelle que le système judiciaire français « se base sur un fait prouvé » et non pas « sur la prédiction aléatoire d’un comportement futur ». Hier, l’ensemble des aumôniers de prison (de religion juive, protestante, musulmane et catholique) ont estimé, dans un communiqué commun, que le projet de loi « pose problème ». Tandis que la Ligue des droits de l’homme, elle, déplorait un texte qui fait la « confusion entre maladie mentale et délinquance, entre dangerosité et culpabilité ».
Laurent Mouloud
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