Entretien avec l’ambassadeur de Russie à l’ONU Alors que, sans aucun esprit critique, les médias occidentaux véhiculent une vision unilatérale du conflit géorgien, Horizons et débats a interrogé l’ambassadeur de Russie aux Nations Unies. Ses réponses font apparaître un point de vue cohérent et mesuré, aux antipodes de la prétendue « volonté de puissance retrouvée » que les médias occidentaux prêtent à la Russie. |
2 septembre 2008
Horizons et débats : La première question concerne le conflit de Géorgie. Nous aimerions savoir ce qui s’y passe, les médias de l’Ouest prétendant que la Russie est coupable. Ce que la Géorgie a fait ne prête pas à discussion. Nous désirons des informations pour nos lecteurs, nous voulons leur dire ce qui se passe réellement dans la région
S. Exc. Valery Loshchinin [1] : Merci de votre visite. Il est important que vous souhaitiez des informations honnêtes. C’est important, si l’on considère ce qui se passe dans les médias occidentaux. Cela suscite quantité de questions sur la liberté de la presse dans les médias occidentaux, car il s’agit d’une campagne de propagande contre la Russie. Cette campagne infondée contrevient aux normes de l’information honnête et indépendante ; elle sape les valeurs démocratiques. La réalité est différente. Vous avez mentionné le conflit entre la Russie et la Géorgie. Il s’agit d’un conflit entre la Géorgie d’une part, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie d’autre part. Il ne date pas d’hier, mais remonte à plusieurs siècles. Il n’a jamais cessé. Durant les seize dernières années, on a observé une paix fragile, caractérisée par la présence de bérets bleus, troupes russes incluses. Que s’est-il passé ? Il s’avère que l’agression militaire géorgienne contre l’Ossétie du Sud a été planifiée et appuyée par quelques pays que je m’en voudrais de nommer. Constatant que le temps passait et s’inspirant du précédent que constituait l’affaire du Kosovo, Saakashvili a décidé de faire une guerre éclair. Il entendait mener l’offensive et occuper la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali. Après quoi il espérait obtenir le soutien des États occidentaux et de l’OTAN, ce qui ne s’est pas réalisé.
Il a commencé sa guerre éclair en recourant à des systèmes de fusées. L’artillerie n’a pas atteint des objectifs précis, mais a couvert de larges secteurs et y a tout détruit, y compris l’infrastructure civile. Elle a frappé son propre peuple, celui de Tskhinvali. L’agression a eu lieu de nuit, quand la ville dormait. Aux dernières nouvelles, qui doivent encore être confirmées, la mort a fauché plus de 2 100 personnes. Ce chiffre est considérable, si l’on songe que la population totale ne dépasse pas 70 000 personnes. L’agression d’une nuit et d’un jour, qui a tué des milliers de pauvres Ossètes, constitue un acte de génocide au sens de la convention de l’ONU sur le génocide de 1948. C’était vraiment un génocide. Un autre problème est qu’ils ont incité les gens à quitter leurs maisons. C’était un exode. Plus de 32 000 personnes ont quitté l’Ossétie du Sud. Elles sont devenues réfugiés ou personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Il s’agit de près de la moitié de la population. On peut parler d’épuration ethnique. C’est absolument clair. Nous savons que nos partenaires ne sont pas charmés de nous entendre parler d’épuration ethnique, de génocide, etc. C’est bien naturel, car ils ont entretenu ce régime, l’ont formé, y ont investi beaucoup d’argent et l’ont présenté comme un modèle de démocratie. Or cette démocratie mène une politique d’épuration ethnique. Pour nos partenaires des pays occidentaux, il est absolument inacceptable de reconnaître ce fait. Si ces États considèrent comme normal de montrer du doigt d’autres pays en les accusant d’épurations ethniques, cette accusation ne saurait évidemment s’appliquer à la Géorgie « démocratique ». Ils savent qu’ils ont une part de responsabilité dans ce qui s’est passé. Cela les a incités à défendre sauvagement le régime de Saakashvili et tout ce qu’a fait ce régime criminel durant l’agression géorgienne, tentant d’inverser les rôles et d’attribuer l’agression à la Russie. Il faut saluer que, dans les pays occidentaux, de plus en plus de gens comprennent mieux ce qui s’est vraiment passé.
Il y a quelques jours, Valery Gergiev, musicien de réputation mondiale et chef d’orchestre de l’opéra Marien de Saint-Petersbourg a donné un concert aux ressortissants de Tskhinvali détruite. Homme intègre, ouvert et indépendant, il jouit d’une grande réputation. Il a comparé la ville à Stalingrad. C’était terrible.
Les Géorgiens ont nommé leur opération « Champ libre », ce qui signifie épuration ethnique, tuerie, destruction de tout. Comme ils ne veulent pas avoir d’Ossètes là, ils veulent en débarrasser le territoire. C’est ce qu’ils entendent par intégrité territoriale. Cette politique est absolument inacceptable, elle est un danger pour chacun d’entre nous. Après quoi certains ont déclaré que les portes de l’OTAN étaient ouvertes à la Géorgie. L’agressivité de Tiblissi rend la situation très dangereuse, car elle pourrait impliquer l’OTAN dans des provocations extrêmement dangereuses. À rappeler que lorsque, à maintes reprises, Saakashvili a requis l’aide de l’OTAN, il a tenté d’impliquer les pays occidentaux dans ces actions militaires. Pouvez-vous imaginer ce qui se serait passé s’ils y avaient donné suite. Ce ne serait pas quelques simples heurts entre la Russie, la Géorgie et l’Ossétie du Sud : la Russie serait en conflit avec des pays occidentaux. C’est terrible.
Horizons et débats : Observant la vie politique ces derniers mois, nous avons constaté de constantes petites attaques verbales contre la Russie. Lors de l’élection de Medvedev, les journaux occidentaux se sont montrés particulièrement virulents contre la Russie. Finalement, ce conflit a éclaté. Pensez-vous qu’il y a un plan stratégique contre la Russie pour la garder hors d’Europe pour essayer de la contrôler ? Autre question : qu’en est-il des bases de missiles en Pologne ? Maintenant, ils ont signé le traité. Pensez-vous que le plan consistait à faire la guerre à l’Ossétie du Sud, puis à rapprocher les autres pays de l’OTAN et à faire en sorte qu’ils concluent le traité et soutiennent la politique des États-Unis ?
S. Exc. Valery Loshchinin : Ce qu’il nous faut comprendre : la Géorgie s’apprête à se rapprocher de l’Europe, mais surtout des États-Unis. Pourquoi pas ? Mais le régime actuel de Tiblissi croit qu’il pourrait accélérer ce processus en ayant de mauvaises relations avec la Russie. Cette méthode est absolument fausse. Elle est fausse parce que toute solution des problèmes de la Géorgie passe par une solide base de relations amicales avec la Russie.
Comme vous le savez, des troubles entre la Géorgie ainsi que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont eu lieu à l’époque de l’Union soviétique, mais les gens ont vécu néanmoins ensemble. Pourquoi ? Parce qu’ils vivaient dans ce grand pays et y étaient protégés. Mais quand l’Union soviétique s’est désintégrée, l’Abkhazie et l’Ossétie sont devenues une partie de la Géorgie, pour ainsi dire face à face avec Tiblissi. Ayant quelque expérience des relations avec les Géorgiens, elles ont décidé de se protéger en proclamant immédiatement leur indépendance de la Géorgie. La première étape vers une solution des problèmes est d’avoir de bonnes relations avec la Russie. À la Géorgie de jouer.
À propos de la Pologne : Mon impression personnelle est que la Pologne et les États-Unis auraient signé ce traité, que cette agression ait lieu ou non. Peut-être pas maintenant, un peu plus tard. De manière générale, tout avait été préparé à cet égard. Cependant, vous avez tout à fait raison de dire que l’action n’est pas dirigée contre la Corée du Nord, ni contre l’Iran, mais contre la Russie. Et nous l’avons répété souvent à nos partenaires états-uniens, durant les négociations. Ils nous ont rétorqué qu’ils couvriraient certes notre territoire, mais que cela ne signifiait pas qu’ils feraient quelque chose de faux ou d’hostile à la Russie. Nous ne sommes pas naïfs : la réalité est absolument différente.
Horizons et débats : Quel est le rôle de l’Allemagne dans ce conflit ?
S. Exc. Valery Loshchinin : On connaît certaines activités de l’Allemagne à propos de la Géorgie. Tout d’abord parce que l’Allemagne fait partie du « Groupe des amis de la Géorgie ». C’est un groupe mis sur pied par le Secrétaire général des Nations Unies, qui comprend l’Allemagne, la France, la Russie, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Nous nous rencontrons de temps en temps ici à Genève. Je dois dire que l’Allemagne a toujours aidé à promouvoir des initiatives, des idées. Il existe un « Plan Boden ». L’ambassadeur Boden était le représentant du Secrétaire général. C’est un Allemand très honnête, impartial, un sage diplomate. Son plan en vue du règlement du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie a été discuté longtemps. Mais après la récente agression, il n’existe plus en tant que base de négociations.
Ce qui est très important maintenant, c’est de ne pas encourager d’autres pays à vouloir accueillir la Géorgie dans l’OTAN. Ce ne serait pas seulement un défi mais un acte hostile à l’égard de la Russie. En même temps, pour être franc, du point de vue de la sécurité de la Géorgie, c’est sans importance. Cela signifie simplement que l’OTAN voudrait se rapprocher de la frontière russe, ce qui peut être interprété comme le fait que l’Alliance considère la Russie comme un opposant potentiel, sinon comme un ennemi. Mais il est nécessaire d’établir de meilleures relations avec la Russie. Il est temps de s’asseoir ensemble à une table et de dresser l’inventaire des questions afin de mieux se comprendre et de prendre des mesures visant à rendre nos relations plus coopératives. La diplomatie russe a toujours considéré les relations internationales de façon ouverte et constructive et est prête à étudier à fond toute question d’intérêt mutuel avec ses partenaires occidentaux. Profitons de l’occasion pour nous réunir à nouveau afin d’écarter tous les éléments qui nous divisent, d’améliorer le sort de nos peuples et de contribuer à la paix et à la sécurité.
Horizons et débats : Quel rôle jouent les États-Unis à cet égard ?
S. Exc. Valery Loshchinin : L’ambassadeur des États-Unis a donné hier une interview à Moscou au célèbre journal Kommersant. Il a déclaré que la Russie avait le droit de réagir aux opérations géorgiennes. Cette déclaration devrait être interprétée comme confirmant que les États-Unis savent qui est l’agresseur et qu’ils ne tiennent pas à entrer dans le conflit.
Horizons et débats : Que peuvent faire l’Union européenne et les pays européens pour mettre un terme à ce conflit et se rapprocher de la Russie et d’autres pays ? Que doit être la politique européenne en faveur de la paix dans le monde ?
S. Exc. Valery Loshchinin : Tout d’abord, nous devrions appliquer le document en six points approuvé par les présidents Medvedev et Sarkozy qui se trouve sur la table du Conseil de sécurité. Le principe essentiel de ce document est de stopper immédiatement toute action militaire. L’Union européenne approuve ce plan. Certains membres du Conseil de sécurité sont sceptiques, mais il est important de le faire adopter par le Conseil de sécurité afin de faciliter sa mise en œuvre. La Russie a commencé son retrait graduel, qui a été largement couvert par les médias. Cependant nous allons conserver des unités de maintien de la paix à l’intérieur de la zone de sécurité en Ossétie du Sud, car elles sont nécessaires pour garantir la sécurité des habitants.
Si le plan est accepté et qu’en particulier le principe du non recours à la force est appliqué, tous les autres problèmes seront résolus beaucoup plus facilement.
Horizons et débats : À votre avis, quel sera le statut final à la fin des débats ?
S. Exc. Valery Loshchinin : Il est très difficile de le dire de manière absolue. Vous savez qu’hier, quelque 60 000 Abkhazes (plus du tiers de la population totale) se sont rassemblés au centre de Soukhoumi, capitale de l’Abkhazie, pour déclarer leur indépendance. Un événement similaire a eu lieu à Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du Sud. Le peuple a demandé que soit reconnue l’indépendance de la province, non seulement par rapport à la Russie mais aux autres pays. Lundi prochain, des réunions auront lieu à la Douma, à Moscou, ainsi qu’au Conseil de la Fédération de Russie pour aborder cette question. Mon expérience me dit que notre Parlement réagira positivement à ces demandes. Cela ne signifie cependant pas que la reconnaissance par le gouvernement aura lieu immédiatement. Mais comme l’a dit avec raison notre ministre des Affaires étrangères, tout dépend de ce que fera la Géorgie. Or Saakachvili ne tient pas ses promesses et a parlé de reconstituer les forces militaires et même de les rendre plus puissantes qu’avant. Je ne sais pas quelles sont ses véritables intentions, s’il tient à la paix et à l’intégrité territoriale. Ses actions détermineront le sort de son pays et il en est responsable. Il s’agit là du second nettoyage ethnique en Ossétie du Sud et en Abkhazie au cours des 16 dernières années. Il ne fait qu’attiser les sentiments d’indépendance. Ainsi, si notre ministre des Affaires étrangères a affirmé que tout dépendait de la Géorgie, du gouvernement géorgien, il le pensait vraiment. Quant à moi, ce qui m’intéresse, sincèrement, c’est d’améliorer les relations avec tous nos voisins. Il faut que ce sentiment soit réciproque, mais au lieu de cela, la Géorgie a décidé de quitter la CEI et de rejoindre l’OTAN.
Horizons et débats : Merci beaucoup pour cet entretien, Monsieur l’Ambassadeur.
[1] Valéry V. Loshchinin est, depuis 2006, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire et Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, ainsi que Représentant permanent à la Conférence sur le désarmement.
Il est né en 1940 dans la région de Gomel (Biélorussie). En 1964, il a terminé ses études à l’Université d’Etat de Biélorussie (Minsk) et en 1977, il a obtenu le diplôme de l’Académie diplomatique du ministère soviétique des Affaires étrangères (Moscou). Il commença sa carrière diplomatique en 1965 au ministère biélorusse des Affaires étrangères et depuis 1977, il a travaillé pour le ministère des Affaires étrangères d’URSS. De 2002 à 2005, il a été ministre adjoint des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire