Le président de l’Agence France Presse, Pierre Louette, doit être réélu ce vendredi 12 décembre à la présidence de l’Agence France Presse. Il fait figure d’homme de tact ayant réussi à désamorcer la crise qui s’était engagée au printemps entre l’UMP et la troisième agence d’information mondiale, forte de 1200 journalistes. Pourtant, la lettre de mission qu’il reçoit du pouvoir est sans équivoque : il s’agit d’engager l’AFP sur la voie de la réforme en acceptant une révision de son statut et en la préparant à l’entrée d’actionnaires extérieurs. L’intersyndicale de l’Agence appelle à une mobilisation contre ce projet de privatisation partielle qui ne dit pas son nom.
Il est parfois des coquilles révélatrices : ce vendredi 12 décembre, un conseil d’administration de l’Agence France Presse se réunit pour « désigner le Pdg de l’Agence, lors d’un vote qui devrait conduire à la réélection de Pierre Louette pour un deuxième mandat de trois ans, selon des sources concordantes », nous apprend une dépêche de l’AFP, datée du 11 décembre. Une première dépêche ô combien révélatrice d’aspirations inconscientes était par erreur titrée, quelques minutes plus tôt : « La réélection de Pierre Louette au menu du CE de l’AFP vendredi ». En réalité, comme s’empresse de le corriger la vénérable agence, ce n’est bien sûr par le comité d’entreprise qui décide de la nomination de son président mais le « CA ». Entendez le conseil d’administration de l’AFP composé de représentants de la presse, de l’audiovisuel public et de l’Etat, lequel assure 40 % des ressources de l’Agence. Aucune chance donc de laisser aux personnels le droit de décider de leur avenir. Aucune chance pour que le seul autre candidat déclaré à la présidence, le journaliste Pierre Brosselin, ne fasse rien d’autre que de la figuration.
Un président proche du pouvoir
Car Pierre Louette, à 45 ans, est pratiquement certain de se succéder à lui-même. Cet énarque passé par France Télévisions, Havas Advertising et LVMH a en effet le soutien du gouvernement. Fin octobre, les représentants de l’Etat lui ont donné mandat pour remettre ses propositions en vue d’une modernisation du « statut » de l’AFP… avant la fin du premier trimestre 2009. Un statut, issu d’une loi datant de 1957, qui stipule que l’AFP ne peut « en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information » et qu’elle ne doit « en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique » [1].
La loi précise que l’Agence est une société soumise au droit commercial mais avec une gouvernance dérogatoire au droit commun des sociétés, destiné à assurer son indépendance. Elle n’a donc ni capital ni actionnaires et, comme tel, aucune légitimité à faire entrer un groupe extérieur dans sa structure de contrôle. C’est précisément ce que Pierre Louette va recevoir instruction de modifier dans « une lettre de mission du gouvernement », remise ce vendredi 12 décembre et ayant pour but de réformer le statut de l’AFP.
Une telle réforme n’est en rien nécessaire au développement de l’AFP qui, au cours de ces dernières années, a pu se développer dans le multimédia et même consolider ses comptes avec un bénéfice net annoncé de 3 millions d’euros en 2008. Mais Nicolas Sarkozy en a décidé autrement. Il a convaincu Pierre Louette, qu’il avait déjà pu côtoyer au cabinet d’Edouard Balladur entre 1993 et 1995 lorsqu’il était ministre du budget et porte-parole du gouvernement, de faire entrer des « actionnaires stables » dans un capital « libéré en actions ». En d’autres termes, il s’agit de faire sienne la préconisation de Danièle Giazzi secrétaire national de l’UMP, qui, dans un rapport très flatteur façon « Le corbeau et le renard » avait suggéré que l’Agence « ouvre son capital si nécessaire » et se transforme en société anonyme. En d’autres termes, qu’elle s’oriente sur la voie de la privatisation.
Une agence trop influente pour Sarkozy
Le chef de l’Etat a un problème personnel avec l’AFP. Il n’a pas supporté quand il était ministre de l’intérieur qu’elle évoque un jour d’octobre 2005, alors que son épouse d’alors s’était envolée à New York avec son amant, une relation intime qu’il avait avec une journaliste politique du Figaro. L’Agence entre alors dans le collimateur du ministre-candidat pour ne pas avoir su protéger sa vie privée à laquelle, « ni plus qu’un autre ni moins qu’un autre », il a droit. L’AFP se défend officieusement en expliquant que des photos circulaient dans toutes les rédactions, que de nombreux titres de presse avaient déjà repris l’information et que la nouvelle circulait en boucle sur Internet. « A l’heure de l’instantanéité, on ne peut pas être les derniers à parler d’une vérité que plus personne n’ignore… », explique un journaliste de l’Agence. Néanmoins, pour Sarkozy, l’AFP a franchi la ligne jaune que ne doit jamais oublier ce grossiste en informations pour médias dominants : elle a fait entrer une histoire non homologuée par le pouvoir dans la sphère du discours légitime.
En 2008, l’heure de la revanche a sonné. Le mandat du président Louette arrive à échéance et l’Agence a besoin de 20 millions d’euros pour sa modernisation informatique. De plus, si elle veut être assurée d’une revalorisation des crédits accordés par l’Etat en abonnements, elle a besoin de signer son contrat d’objectifs et de moyens pour les années 2009-2012. C’est le moment d’agir. Comme à son habitude, Sarkozy fait alors monter au créneau son « porte-flingue » favori : le lobbyiste Frédéric Lefebvre, député des Hauts-de-Seine et porte-parole de l’UMP. Au printemps dernier, celui-ci saisit le prétexte de la non reprise par l’AFP d’un communiqué de l’UMP pour l’accuser de partialité. En réalité, il s’agit de faire pression sur les 1200 journalistes alors que l’influence de l’AFP s’est trouvée considérablement renforcée par la reprise systématique de ses dépêches sur les grands sites et portails internet. En mai, l’intersyndicale de l’Agence appelle les salariés à se réunir devant le siège, place de la Bourse, à Paris, pour protester contre « les attaques répétés contre l’AFP ». La tension est entretenue jusqu’au rapport Giazzi qui semble refléter la position de la majorité sur la troisième agence de presse mondiale.
Le très pacifiant Pierre Louette
C’est alors que Pierre Louette entre en scène. En septembre, il fait passer le message qu’il a vu Frédéric Lefebvre et qu’il a obtenu de lui qu’il cesse ses coups de boutoirs contre l’Agence. Aux yeux des personnels, il gagne ses galons de communiquant chevronné qui a su gérer avec élégance une crise ouverte avec le parti majoritaire (comme il y eut crise avec Ségolène Royal, à propos de l’annonce de sa séparation avec François Hollande). Mais une question demeure : de quelle mission Pierre Louette est-il aujourd’hui porteur pour obtenir ainsi un renouvellement de son mandat ? S’agit-il de préparer une privatisation rampante comme le craint l’intersyndicale de l’AFP qui appelle à signer une pétition pour défendre l’institution ? [2]
On peut d’autant plus le penser que Pierre Louette engage l’Agence sur le terrain d’une diversification tous azimuts qui va de la vidéo au téléphone mobile en passant par les questionnaires ludiques et les gadgets autour de l’information fournis par une filiale américaine (Newzwag). De même, il vient de signer un accord exclusif avec l’agence privée Relaxnews pour créer « le premier fil mondial d’informations loisirs ». Quel contrôle éditorial conservera l’Agence dans ce nouveau service où il s’agira autant de « donner l’actualité des produits » du luxe ou de la mode que de tenir l’agenda des événements de l’industrie culturelle ? Faudra-t-il s’étonner si, dans quelques mois, ou quelques années, Pierre Louette annonce la nécessité de s’adosser à un grand nom de la technologie, de la communication ou des médias pour mieux développer un savoir-faire multimédia composite ?
vendredi 12 décembre 2008, par Marie Bénilde
Notes
[1] Lire « L’AFP complètement à Louette », Bakchich.info.
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