jeudi 1er octobre 2009, par Philippe Rivière
On n’avait plus vu cela depuis les années 1990. Largement manipulées par le pouvoir blanc de l’apartheid, les violences politiques qui accompagnèrent de 1987 à 1994 le cheminement de l’Afrique du Sud vers la démocratie avaient vite disparu une fois Nelson Mandela installé à la présidence. Depuis, les conflits sociaux se jouaient le plus souvent dans des manifestations pacifiques et devant les tribunaux. Mais, au Kwazulu-Natal, tout cela vient de déraper.
C’est dans le camp de squatteurs de Kennedy Road, à Clare Estate dans la banlieue de Durban (province du Kwazulu-Natal), que se situe le noyau dur d’Abahlali baseMjondolo (ABM), l’un de ces mouvements sociaux mobilisant les résidents des bidonvilles pour des conditions de vie plus dignes [1]. Le 26 septembre, ce camp de sept mille habitants fut attaqué par une milice armée de bâtons, de couteaux et d’armes à feu. Toute la nuit, destructions méthodiques et tabassages en règle se poursuivirent, sans que la police n’intervienne. Au nombre d’une quarantaine, ces nervis revinrent les nuits suivantes continuer leurs opérations. La police, cette fois présente sur les lieux, n’intervint pas. « Les M’pondos ont envahi Kennedy. Kennedy appartient aux Zulus ! », criaient les attaquants, d’après les témoignages des résidents diffusés par ABM. Les logements des membres du mouvement ont été particulièrement visés. L’opération s’est soldée par « quatre morts, de nombreux blessés et des milliers de personnes déplacées [2] ».
Des intellectuels sud-africains, au nombre desquels l’ancien rapporteur des Nations Unies pour la Palestine John Dugard, ont signé une déclaration commune dans laquelle ils indiquent : « Il semble, malheureusement, que les efforts pacifiques d’Abahlali baseMjondolo pour organiser et mobiliser les communautés en faveur du changement et pour résister aux expulsions du camp de Kennedy Road menacent d’importants intérêts fonciers et politiques locaux. C’est vraisemblalement pour cette raison qu’ils se trouvent confrontés à une répression violente qui rappelle la période de l’apartheid. Nous sommes particulièrement choqués par les imputations de complicité de la police dans ces attaques [3]. »
Des cadres locaux du Congrès national africain (ANC, au pouvoir) sont ensuite venus prendre le contrôle du camp, et ont commencé à vérifier les cartes d’appartenance au parti, imputant la responsabilité des attaques aux membres d’ABM. Plusieurs des dirigeants de ce mouvement sont en fuite ; leur président, M. S’bu Zikode, a fait une déclaration vidéo dans laquelle il se déclare « exilé dans son propre pays [4] ».
A la veille de la Coupe du monde de football, la grande affaire de l’année 2010 qui devrait déverser sur l’Afrique du Sud les mannes du tourisme et les projecteurs des médias, il est probable que certains politiciens pressés cherchent à mettre au pas les pauvres des camps de squatteurs, qui entendent pour leur part profiter de l’événement comme d’une tribune pour leurs revendications.
Si l’on ne peut imaginer que cette attaque ait été décidée au plus haut niveau, l’épisode montre de façon alarmante le retour en politique de la « carte raciale », sur laquelle M. Jacob Zuma a appuyé son accession à la direction de l’ANC et à la présidence du pays, en endossant lors de la campagne, qui l’a opposé à M. Thabo Mbeki, les habits traditionnels de chef zulu.
L’instrumentalisation politique de tensions présentées comme « ethniques » (Zulus contre Xhosas, nationaux contre immigrés, etc.) reste le talon d’Achille d’une « nation arc-en-ciel » extrêmement inégalitaire et qui ne réussit pas à intégrer les plus pauvres de ses citoyens.
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