lundi 28 septembre 2009, par Philippe Leymarie
« Centre opérationnel pandémie » (COP) : des équipes se relaient dans cette structure de crise mise en place par le ministère de la Défense, en application du plan national de lutte contre du virus H1N1. La cellule « Opint » (opération intérieure) — déjà mobilisée lors de la prise d’otages du ferry Pascal Paoli, en 2005, ou lors de la tempête Klaus, en janvier 2009 — a été réactivée depuis début septembre, dans les sous-sols bunkerisés du boulevard Saint-Germain, dans le 6ème arrondisement, à Paris, au cœur du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) – le « saint des saints » de la défense.
Objectif : vacciner au moins la moitié des 230 000 militaires engagés dans la préparation et l’emploi des forces armées, ainsi que les 100 000 gendarmes chargés de la sécurité au quotidien. Le « plan de continuité d’activité des armées » doit permettre, selon le ministre Hervé Morin, de préserver, quoiqu’il arrive, les missions jugées « impératives », comme la dissuasion nucléaire, la défense de l’espace aérien et des approches maritimes, ou les missions de sécurité intérieure.
Tous les militaires présents sur des théâtres d’opérations extérieures (Afghanistan, Balkans, Afrique) et dans les DOM-TOM (premières cibles françaises de la pandémie) ont reçu des réserves de masques et de vaccin Tamiflu qui leur garantissent soixante jours d’autonomie. Les unités désignées pour la relève (tous les quatre à six mois, selon les « opex »), sont également prioritaires : elles doivent être en mesure de poursuivre leurs entraînements, pour que Paris puisse tenir ses engagements internationaux.
Réserve de forces
Par contrat, l’armée de terre tient par ailleurs en réserve dix mille militaires susceptibles de porter assistance aux autorités à l’intérieur du territoire, dont les 1600 personnels de l’opération Vigipirate. « Comme à chaque crise majeure (tempête, crash, pandémie...), la réserve des forces armées pourrait venir épauler les préfets en cas de besoin », précisait l’amiral Christophe Prazuck, porte-parole de l’état-major des forces armées : stockage et distribution des masques et doses de vaccins ; acheminement d’urgence de vivres, etc.
La Pharmacie centrale des armées, seul établissement public habilité à produire l’équivalent de l’antiviral Tamiflu, a fabriqué près de 80 millions de comprimés, et se tient prête à reprendre la production à tout moment. Six hôpitaux d’instruction des armées – Metz, Marseille, Bordeaux, Brest, Val de Grâce à Paris, et Saint-Mandé – disposent de laboratoires agréés pour faire les diagnostics de la maladie. L’ensemble des établissements de santé des armées se sont préparés à accueillir les patients les plus gravement atteints, et à participer aux campagnes de vaccination de la population civile.
C’est le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) qui avait été chargé par le premier ministre d’actualiser dès le mois de février dernier le Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale » de janvier 2007, suite aux nouvelles consignes de l’OMS, aux travaux réalisés sous l’égide du délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, aux enseignements tirés de l’exercice national réalisé le 24 janvier 2008, et aux recommandations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en juin 2008.
Confinement et quarantaine
Alors que le plan secret de la Chancellerie pour le maintien en activité de la justice, comportant de nombreuses limitations aux droits traditionnels, n’avait été dévoilé que début septembre, et par le Syndicat de la Magistrature [1], le plan défense était connu des spécialistes. Dès le 30 avril 2009, la générale Anne Robert, médecin-chef des services, avait annoncé l’activation du réseau SMOG ( Système militaire d’observation de la grippe) reposant sur trente « unités sentinelles », les soixante centres SMOP (Système militaire d’observation d’une pandémie) se préparant à une éventuelle activation.
« Les armées prendront part aux dispositifs de contrôle aux frontières, sur demande des autorités civiles, en fonction de leurs capacité du moment », mais seulement « en complément des forces de l’ordre dont c’est la mission », avait précisé la générale. En outre,
des mesures de confinement (pour certains militaires et en fonction de leurs missions), ainsi que des mesures de restriction de mouvement (exercices, stages, entraînements) sont prévues, en cas de généralisation de la pandémie ;
le fonctionnement des unités pourra être réduit au minimum, et des mesures de maintien à domicile des militaires ou civils de la défense non indispensables seraient alors décidées ;
des mesures de quarantaine pourraient également être appliquées aux personnels de retour d’une zone suspecte ;
un contrôle sanitaire strict serait exercé sur les accès aux casernements abritant des moyens d’intervention, des centraux d’opérations et de gestion de crise, ou des installations concourant à la dissuasion nucléaire.
Militarisation rampante ?
Certains ont évoqué un risque de « militarisation » du dispositif français de vigilance, de mobilisation et de sauvegarde des activités en France, en cas de pandémie : il prendrait les allures d’une « loi martiale » qui ne dirait pas son nom, et pourrait être étendu par la suite à tout type de crise. D’autres craignent que des règles contraignantes soient édictées par des centres de décision extérieurs (Commission de l’Union européenne, Otan). Ou qu’au contraire, un manque de coordination européenne, et de solidarité internationale (notamment « nord-sud ») ne rende les plans français partiellement inopérants, et indéfendables politiquement et diplomatiquement.
Fin août, Emmanuel Hirsch, directeur du Département de recherche en études éthiques à l’université Paris-Sud XI [2], considérait la mobilisation en France contre la menace de pandémie « suffisante sur un plan technique », mais regrettait qu’elle ait été « réduite à une question de sécurité intérieure », les décideurs ayant « tout simplement occulté la question des valeurs à promouvoir en cas de catastrophe : les enjeux de justice sociale, d’égalité de traitement, de solidarité face à la menace dune crise sanitaire ». Par exemple, dans des hôpitaux débordés, la question du tri entre les malades, en application des priorités (en fonction de la gravité, de l’âge, des coûts, etc.).
Or, rien de tout cela n’a été discuté : « On aura du mal à faire admettre des mesures contraignantes si celles-ci n’ont pas été débattues avec les citoyens : on ne pourra exiger qu’ils se comportent de manière civique s’ils ont le sentiment que ce qu’on leur impose est injuste », conclut cet universitaire [3]. On serait alors dans le cas — redouté ! — où les forces de police et de gendarmerie, éventuellement épaulées par l’armée, auraient à s’en mlêler. Si du moins elles ne sont pas elles-mêmes trop largement contaminées ...
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