Par Jean-Marie Le Ray
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Par les temps qui courent, le nom se suffit à lui-même : 150 millions de résultats sur Google, + 45 millions d'utilisateurs actifs en ce début octobre, un taux de progression de 422% (!), une capitalisation évaluée multipliée par +10 en 1 an (de 1 milliard de $ par Yahoo fin 2006 à 10 milliards de $ par Microsoft en 2007, voire plus...), une cinquantaine de nouvelles applications créées chaque jour, Facebook (terme anglais pour trombinoscope) est le phénomène du moment.
D'où une série de trois billets pour tenter d'analyser à ma manière sa réussite présente et son évolution possible (le décalogue était juste un hors d'œuvre).
L'articulation des deux premiers billets est déjà établie :
Facebook - I
I. La nouveauté de Facebook : la traçabilité
II. Facebook : ouvrons le graphe social ?
[MàJ - 10 oct. 2007]
Facebook - II
III. Grapher les modèles sociaux
IV. Graphing social patterns
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Facebook - III
V. La valeur de Facebook
I. La nouveauté de Facebook : la traçabilité
Facebook est une rupture dans les réseaux sociaux pour une raison simple : il permet de suivre à la trace ses "amis" : qui ils fréquentent, à quels groupes ils adhèrent, quelles applications ils installent, ce qu'ils font, où, quand, comment, etc. Dans un "flux" continu, sorte de par-chemin à suivre qui déroule le palimptexte des actions...
Cette double fonctionnalité, nommée Mini- et News Feeds, installée sur le site à la fin de l'été 2006, a immédiatement suscité une forte hostilité de la part du premier public de Facebook : les étudiants. Le groupe Students against Facebook News Feed (Official Petition to Facebook) compte aujourd'hui 246 301 membres :
Danah Boyd, qui suit les réseaux sociaux depuis plusieurs années, retrace l'histoire. L'opposition fut tellement virulente que le 8 septembre, Zuckerberg déclarait dans une lettre ouverte avoir
Ceci dit, un an plus tard, c'est justement cette fonctionnalité qui est en rupture avec ce qui se faisait jusqu'alors et qui décrète toute la nouveauté de Facebook. D'autant plus que si les gens s'inscrivent aujourd'hui, c'est essentiellement parce qu'ils sont en quête de visibilité, voire de reconnaissance, et non pas le contraire. Si quelqu'un que je ne connais pas me demande qu'on soit "amis" (seul ce terme me dérange car il ne correspond à rien, aujourd'hui ça n'a plus aucun sens de parler d' "amis"), je regarde un peu ce qu'il fait sur le Web, et si ce qu'il fait ou dit me plaît, no problem !
C'est d'ailleurs en ça que réside une partie de la « mission » de Facebook : un réseau social qui connecte les gens les uns aux autres (Facebook is a social utility that connects you with the people around you).
Pour une répartition des actions sur Facebook au mois d'août, voir l'analyse de Compete :
Une nouvelle forme de recommandation implicite, donc, dont l'efficacité peut être proportionnelle au degré de confiance que vous accordez à ces "amis", qui sont en réalité de simples relations, des connaissances virtuelles avec des degrés d'affinité variables. Et si dans « la vraie vie » ça débouche parfois sur des rencontres, peut-être même sur de véritables amitiés, pourquoi pas !? L'amitié n'est pas un sentiment qu'on limite a priori, sans parler du reste...
Donc traverse-t-on une évolution de la liste d'amis vers le média social en trois générations ?
1. première génération : les "friend lists", des réseaux "à plat", bi-directionnels, sans relief.© Fabernovel, diapo 25 (voir PDF), traduction Olivier Ertzscheid.
2. seconde génération : les réseaux sociaux proprement dit, en relief, plus "épais" (relations transversales entre "amis" et non simplement "linéaires")
3. troisième génération (celle de Facebook) : les "médias sociaux" : de la mise en relation + de la mise en partage via différents médias.
Ce que David Sacks analyse autrement dans les nouveaux portails, en passant de la navigation avec Yahoo à la recherche avec Google, pour aller vers le partage selon Facebook :
Mais le partage de quoi ? D'un réseau ? D'une plateforme ? D'informations ? De la confiance entre les membres ?
Selon Francis Pisani, la véritable recette de Facebook « n’est ni la plateforme prise isolément (...), ni le réseau social mais le couplage plateforme-graphe social. » :
C’est la capacité de multiplier l’un par l’autre et de compter sur développeurs et usagers pour faire l’essentiel du travail.“Graphe social”, « outil pour voir les relations entre les gens », “Social
Les usagers y trouvent une intégration séduisante entre beaucoup d’applications qui leur plaisent et beaucoup de relations plus ou moins proches. Les développeurs ont d’autant plus intérêt à créer des applications pour cette plateforme qu’ils n’ont plus à se préoccuper de la création du réseau social dont ils ont besoin pour bien fonctionner.
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II. Facebook : ouvrons le graphe social ?
Mais d'abord qu'est-ce que le “graphe social” ? En vidéo (et en anglais)...
Par écrit et en français, chez Christophe Ducamp, ce sera peut-être plus simple (traduction de Thoughts on the Social Graph).
Concrètement, sur Facebook, ça se traduit par une application connue sous le nom de "roue des amis", friendwheel, qui présente graphiquement les connexions avec "mes amis" et celles "des amis de mes amis" (qui ne sont pas forcément "mes amis", mais ça c'est une autre histoire...). C'est joli, c'est coloré, ça ressort bien, etc.
On peut même la rafraîchir chaque fois qu'on hérite d'un nouvel ami :-)
Voici la mienne, aujourd'hui :
De mon cercle d'amis (restreint, il est vrai), on peut voir de suite qui a des relations avec qui. Et plus on a d'amis, plus la pelote s'étoffe !
Mais ça c'est la perception visuelle, immédiate. Maintenant, il faudrait peut-être voir ce qu'il y a derrière, et tenter d'analyser plus en profondeur ce que cache la notion de "graphe social", si l'on ne veut pas se retrouver par « finir au milieu de nulle part » (to end up in the middle of nowhere). [Début]
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D'abord repris par Mark Zuckerberg lors de sa présentation du 24 mai 2007, jour de l'ouverture de la plateforme Facebook aux applis tierces (“Until now, social networks have been closed platforms. Today, we’re going to end that...”), le concept fait florès depuis. Il faut dire que l'intuition de Zuckerberg est géniale, visionnaire à l'échelle d'Internet :
“With this evolution of Facebook Platform, any developer worldwide can build full social applications on top of the social graph, inside of Facebook.”Tout y est dans ce communiqué de presse. Y compris l'intégration profonde au sein même du site et l'invention d'un nouveau langage de balisage, le Facebook Markup, couplé aux API maison, qui inclut, en vrac : un tagage dynamique des informations, les tags sur le respect conditionnel des droits à la confidentialité des données, le cache des images et le Flash. Communiqué à lire et à relire pour mieux comprendre la suite...
(...)
Mass Distribution through the “social graph,” the network of real connections through which people communicate and share information. (...)
“The social graph is the changing the way the world works.” “We are at a time in history when more information is available and people are more connected than they ever have been before, and the social graph is at the center of that.”
“The social graph is our base, and we’ve built a framework that is completely optimized for developing social applications within our environment.” “We believe that there is more value for everyone in letting other people develop applications on top of the base we’ve built than we could ever possibly provide on our own.”
Mais l'intégralité du discours est encore plus intéressante à écouter (en anglais) :
Dans lequel Zuckerberg attaque par cette déclaration d'intention :
Today, together, we're going to start a movement,...Une déclaration forte, un poil mégalo, certes, mais force est de constater qu'elle est clairvoyante, puisque c'est très exactement ce qui s'est passé, qui continue, et qui n'a pas l'air prêt de se terminer...
Aujourd'hui, ensemble, nous allons créer un mouvement...
Je disais donc que Zuckerberg a repris à son compte le concept de graphe social, mais qu'il ne l'a pas lancé. Sans aller jusqu'à dire que c'est du réchauffé, c'est pourtant loin d'être nouveau.
J'en ai profité pour tester la fameuse ligne du temps de Google (il suffit d'ajouter la syntaxe view:timeline à la requête) et voir depuis quand le buzz enflait autour du “social graph”, et pour une fois, contrairement à son habitude, j'ai pris Google en défaut !
Où l'on voit bien que le buzz a explosé au cours du dernier trimestre, alors qu'on ne trouve presque rien avant.
Et pourtant ! J'ai retrouvé beaucoup de documents antérieurs à 2007, en remontant même jusqu'en 2003. Leur étude est pleine d'enseignements.
Dans une étude récente, intitulée Evolutionary games on graphs, menée par György Szabó et Gábor Fáth, nous trouvons cette représentation des graphes sociaux :
Dont la structure évoque clairement celle des deux roues colorées ci-dessus. Et les chercheurs de nous présenter dans le détail les modes de connexion ou les différences entre les "social graphs" et les "scale-free graphs".
Or dans une étude publiée en 2003, Biens informationnels et communautés médiatées, Michel Gensollen nous expliquait que le Web, qui ne se caractérisait pas par une communauté d'URL, était un "graphe fractal" (scale free), où il était « possible de rencontrer des hubs de très grande taille (les portails) », alors que le "graphe social" était « un graphe formé de clusters, reliés par quelques liens longs (d'où un diamètre relativement faible : small world).
Et de fait, la recherche "social graph" + "small+world" nous retourne un grand nombre de résultats dont beaucoup sont largement antérieurs au buzz de ces derniers mois.
Où l'on apprend que le "small world", ou "petit monde" :
est l'hypothèse que chacun puisse être relié à n'importe quel autre individu par une courte chaîne de relations sociales. Ce concept donna naissance, après l'expérience du petit monde, conduite en 1967 par le psycho-sociologue Stanley Milgram, au concept de « six degrés de séparation ». Celui-ci suggère que deux personnes, choisies au hasard parmi les citoyens US, sont reliées en moyenne par une chaîne de six relations. Par contre, après plus de trente ans, le statut de cette idée comme description de réseaux sociaux hétérogènes reste une question ouverte. Des études sont encore menées actuellement sur le "petit monde"...Fascinant. Or ce qui est vraiment significatif dans cette histoire, c'est que les scientifiques nous disent très exactement le contraire du concept marketing sciemment véhiculé par Zuckerberg. À savoir :
- que Facebook, vu sa taille, serait plutôt un "graphe fractal"
- que la notion de "graphe social", limitée par essence, va à l'encontre du théorème du fondateur de Facebook, ainsi traduit par Francis Pisani :
C’est l’ensemble des relations de toutes les personnes dans le monde. Il y en a un seul et il comprend tout le monde. Personne ne le possède. Ce que nous essayons de faire c’est de le modéliser, de représenter exactement le monde réel en en dressant la carte.
En attendant, ce sera tout pour l'instant. Pour conclure, disons que, personnellement, comme Olivier, je suis présent sur Facebook « juste pour savoir de quoi je cause quand j'en cause, et j'avoue ne pas encore y avoir trouvé "mon" intérêt ».
Mais ça pourrait bien venir...
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