par Philippe Leymarie
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« Quelle sécurité en Europe et dans le monde, après le sommet de Lisbonne » : un modeste colloque, organisé fin janvier au Sénat à Paris par une parlementaire communiste, a permis de faire le point sur trois questions qui ne sont jamais débattues en France, sinon dans des cercles restreints : l’Afghanistan, et pourquoi y rester ? L’Europe de la défense et l’OTAN : quelle utilisé, quelle répartition, quel équilibre ? Et la dissuasion nucléaire : a-t-elle encore un sens ? En voici les extraits les plus saillants, en commençant par le volet Afghanistan...
La guerre que mène là-bas l’OTAN, sous direction en fait américaine, dépasse désormais en durée celle qu’y avaient menée les Soviétiques, a fait remarquer d’emblée l’ancien ministre socialiste Paul Quilès, qui continue de suivre de près les questions de défense.
Selon lui, le projet de désengagement progressif annoncé lors du sommet de l’OTAN fin novembre à Lisbonne par le président Barack Obama est « peu crédible ». Il s’agirait de pacifier les provinces une à une, pour les rendre aux civils et militaires afghans, et de retirer une fraction proportionnelle des troupes étrangères, avec un objectif de transfert total – et donc d’évacuation des forces de l’OTAN et des Etats-Unis – fixé à 2014.
Mais l’interface afghane – le régime du président Karzai – est fragile :
— il est contesté jusque dans Kaboul, sa capitale, théâtre d’attentats répétés, et il a une autorité moindre encore ailleurs dans le pays ;
— il est peu représentatif de la majorité pachtoune du pays ;
— les élections ont été contestées ;
— l’administration est corrompue, mêlée au trafic de drogue (qui a explosé depuis la chute du régime taliban, il y a dix ans) ;
— le transfert à l’armée afghane est illusoire (20 % de taux annuel de désertion) ;
— la crispation est toujours aussi forte également avec les voisins (Pakistan, Inde) ;
— le coût financier est écrasant : 350 milliards de dollars pour les USA (sans commune mesure avec les 460 millions d’euros engagés par exemple par la France) ;
— le conflit est plus meurtrier que jamais : 10 000 morts l’an dernier, dont 711 soldats de l’OTAN, 1 200 policiers et au moins 2 500 civils.
— une victoire militaire est impossible ;
— l’alignement du président Sarkozy sur son homologue américain sonne faux, car il n’est en rien associé à la décision ;
— la présence de ces troupes occidentales dans un pays musulman, en soutien à des institutions locales discréditées, alimente la propagande fondamentaliste (« croisade »).
L’ancien ministre socialiste plaide pour une initiative politique que la France aurait dû prendre au sein du Conseil de sécurité des Nations unies : une conférence internationale, avec l’ensemble des voisins de l’Afghanistan, devant déboucher sur un statut non-aligné pour ce pays, de nouvelles institutions, le retrait des troupes étrangères, des garanties de sécurité régionale, etc.
Pour ce qui est de la France, elle devrait se dissocier immédiatement de l’opération actuelle, commencer à retirer son contingent (pour être en phase le début de désengagement américain, prévu pour juillet prochain) [1], et augmenter son aide civile au développement.
Dans son exposé au Sénat, le général désormais en retraite a d’abord relevé le décalage important entre le discours politique et la réalité sur le terrain, les informations diffusées par les divers acteurs du conflit étant peu fiables. Pour les militaires occidentaux, juge-t-il, c’est « la quadrature du cercle » : ils doivent à la fois assurer la protection et rechercher l’adhésion de la population ; mais en même temps contrer l’adversaire et protéger leurs propres soldats, au fil d’un « micro-management du champ de bataille ». Le tout débouchant sur une « impasse tactique », avec pertes croissantes, en raison d’une « étonnante capacité de résistance de l’adversaire ».
Le général considère que les théories contre-insurrectionnelles, « aussi intelligentes soient-elles », ne peuvent suffire à régler un problème qui est surtout stratégique et politique. Que « le messianisme occidental est essoufflé ». Qu’il n’est plus temps de faire de la réforme sociétale, ou même de la reconstruction, mais de s’en tenir à un simple rétablissement d’un niveau acceptable de sécurité : « L’ambition du secrétaire d’Etat Robert Gates est de laisser l’Afghanistan au moins en l’état où les Soviétiques l’avaient laissé », ce qui n’est même pas le cas actuellement. Il faudra en tout cas accepter de considérer ce pays comme une nation multiethnique, avec un pouvoir décentralisé, une influence majoritairement pachtoune [2], un fonctionnement plus tribal que démocratique.
Conclusion du général : « Le temps joue contre nous, fait le jeu de la Chine ou de l’Iran, et nous transforme de plus en plus en force d’occupation. Les coalisés se délitent. Après les élections de mi-mandat, la question afghane est oubliée aux Etats-Unis. Cette guerre n’est pas populaire : il faudra quitter bientôt l’Afghanistan. Mais si un seuil de stabilisation n’est pas atteint, ce sera pire qu’en 2001, Al-Qaida revenant sous l’égide des talibans, voir menaçant la stabilité du Pakistan. »
Ce militaire tout juste passé au cadre de réserve affirme « ne pas connaître la solution », mais estime en tout cas qu’« on n’a pas le droit de conduire une guerre en silence. C’est à la nation de confirmer ou d’infirmer la mise en jeu de la vie de ses soldats, souvent moins militaristes que les politiques ». Si les soldats français sont à effectifs relativement réduits en Afghanistan, juge-t-il, c’est que les forces armées sont en limite de leurs moyens : « Elles enregistrent des succès tactiques notables, même si, stratégiquement, ce n’est pas très sensible », estime Vincent Desportes.
Quoi qu’il en soit, l’argument de la légitime défense – invoqué par l’OTAN, la France, etc. – est « usé jusqu’à la corde », selon Paul Quilès : « La démocratie, la tranquillité de nos populations, la défense des droits des femmes : pourquoi ne pas l’exiger en Arabie saoudite, alors ? » Quant au « On y restera le temps qu’il faudra » formulé par le président Sarkozy et ses ministres, c’est « le degré zéro, le contraire d’une position politique ».
Selon lui, le projet de désengagement progressif annoncé lors du sommet de l’OTAN fin novembre à Lisbonne par le président Barack Obama est « peu crédible ». Il s’agirait de pacifier les provinces une à une, pour les rendre aux civils et militaires afghans, et de retirer une fraction proportionnelle des troupes étrangères, avec un objectif de transfert total – et donc d’évacuation des forces de l’OTAN et des Etats-Unis – fixé à 2014.
Mais l’interface afghane – le régime du président Karzai – est fragile :
— il est contesté jusque dans Kaboul, sa capitale, théâtre d’attentats répétés, et il a une autorité moindre encore ailleurs dans le pays ;
— il est peu représentatif de la majorité pachtoune du pays ;
— les élections ont été contestées ;
— l’administration est corrompue, mêlée au trafic de drogue (qui a explosé depuis la chute du régime taliban, il y a dix ans) ;
— le transfert à l’armée afghane est illusoire (20 % de taux annuel de désertion) ;
— la crispation est toujours aussi forte également avec les voisins (Pakistan, Inde) ;
— le coût financier est écrasant : 350 milliards de dollars pour les USA (sans commune mesure avec les 460 millions d’euros engagés par exemple par la France) ;
— le conflit est plus meurtrier que jamais : 10 000 morts l’an dernier, dont 711 soldats de l’OTAN, 1 200 policiers et au moins 2 500 civils.
Alignement français
Conclusion de Paul Quilès :— une victoire militaire est impossible ;
— l’alignement du président Sarkozy sur son homologue américain sonne faux, car il n’est en rien associé à la décision ;
— la présence de ces troupes occidentales dans un pays musulman, en soutien à des institutions locales discréditées, alimente la propagande fondamentaliste (« croisade »).
L’ancien ministre socialiste plaide pour une initiative politique que la France aurait dû prendre au sein du Conseil de sécurité des Nations unies : une conférence internationale, avec l’ensemble des voisins de l’Afghanistan, devant déboucher sur un statut non-aligné pour ce pays, de nouvelles institutions, le retrait des troupes étrangères, des garanties de sécurité régionale, etc.
Pour ce qui est de la France, elle devrait se dissocier immédiatement de l’opération actuelle, commencer à retirer son contingent (pour être en phase le début de désengagement américain, prévu pour juillet prochain) [1], et augmenter son aide civile au développement.
« Actionnaire à 1 %»
Autre opinion exprimée à ce colloque : celle du général Vincent Desportes, l’ex-patron du Collège interarmées de défense (CID). Une tribune publiée par Le Monde le 2 juillet dernier, à quelques semaines de sa retraite, lui avait valu une réprimande de l’état-major. Il qualifiait l’opération de l’OTAN en Afghanistan de « guerre américaine », dans laquelle la France (comme l’Europe dans son ensemble) est sans voix : « Quand vous êtes actionnaire à 1 %, vous n’avez pas la parole. »Dans son exposé au Sénat, le général désormais en retraite a d’abord relevé le décalage important entre le discours politique et la réalité sur le terrain, les informations diffusées par les divers acteurs du conflit étant peu fiables. Pour les militaires occidentaux, juge-t-il, c’est « la quadrature du cercle » : ils doivent à la fois assurer la protection et rechercher l’adhésion de la population ; mais en même temps contrer l’adversaire et protéger leurs propres soldats, au fil d’un « micro-management du champ de bataille ». Le tout débouchant sur une « impasse tactique », avec pertes croissantes, en raison d’une « étonnante capacité de résistance de l’adversaire ».
Le général considère que les théories contre-insurrectionnelles, « aussi intelligentes soient-elles », ne peuvent suffire à régler un problème qui est surtout stratégique et politique. Que « le messianisme occidental est essoufflé ». Qu’il n’est plus temps de faire de la réforme sociétale, ou même de la reconstruction, mais de s’en tenir à un simple rétablissement d’un niveau acceptable de sécurité : « L’ambition du secrétaire d’Etat Robert Gates est de laisser l’Afghanistan au moins en l’état où les Soviétiques l’avaient laissé », ce qui n’est même pas le cas actuellement. Il faudra en tout cas accepter de considérer ce pays comme une nation multiethnique, avec un pouvoir décentralisé, une influence majoritairement pachtoune [2], un fonctionnement plus tribal que démocratique.
Guerre en silence
Cela suppose aussi que l’Afghanistan cesse d’être un pion, un élément de la « profondeur stratégique » de certains pays de la région, qui défendent chacun leurs intérêts, car eux resteront après le retrait occidental : « Un pouvoir acceptable à Kaboul suppose qu’il le soit aussi à Islamabad et New-Delhi. La solution afghane passe par la solution au Cachemire. »Conclusion du général : « Le temps joue contre nous, fait le jeu de la Chine ou de l’Iran, et nous transforme de plus en plus en force d’occupation. Les coalisés se délitent. Après les élections de mi-mandat, la question afghane est oubliée aux Etats-Unis. Cette guerre n’est pas populaire : il faudra quitter bientôt l’Afghanistan. Mais si un seuil de stabilisation n’est pas atteint, ce sera pire qu’en 2001, Al-Qaida revenant sous l’égide des talibans, voir menaçant la stabilité du Pakistan. »
Ce militaire tout juste passé au cadre de réserve affirme « ne pas connaître la solution », mais estime en tout cas qu’« on n’a pas le droit de conduire une guerre en silence. C’est à la nation de confirmer ou d’infirmer la mise en jeu de la vie de ses soldats, souvent moins militaristes que les politiques ». Si les soldats français sont à effectifs relativement réduits en Afghanistan, juge-t-il, c’est que les forces armées sont en limite de leurs moyens : « Elles enregistrent des succès tactiques notables, même si, stratégiquement, ce n’est pas très sensible », estime Vincent Desportes.
Quoi qu’il en soit, l’argument de la légitime défense – invoqué par l’OTAN, la France, etc. – est « usé jusqu’à la corde », selon Paul Quilès : « La démocratie, la tranquillité de nos populations, la défense des droits des femmes : pourquoi ne pas l’exiger en Arabie saoudite, alors ? » Quant au « On y restera le temps qu’il faudra » formulé par le président Sarkozy et ses ministres, c’est « le degré zéro, le contraire d’une position politique ».
1 commentaires:
salut, j'ai parcouru ton blog que je trouve bien instructif et j'y ai trouvé des valeurs qui correspondent aux miennes, à plus et bonne journée.
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