Par Raphaël Kempf
pour http://www.monde-diplomatique.fr
PERMALINK
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La pièce est petite, sale et mal éclairée. Un antique poste de télévision trône sur un meuble décharné. Par la fenêtre se dévoilent les champs travaillés, découpés et cultivés par les fellahs égyptiens. Aujourd’hui, l’arrivée de l’ingénieur cairote attire beaucoup de monde dans la maison d’Ahmed Ahmed el-Komwaldy. Viennent uniquement des hommes en galabiyyehs et à l’accent difficile. On raconte les événements de la veille, une bataille rangée, apprendrons-nous, entre des voyous stipendiés par un général de l’ancien régime et les paysans du village. Mais, pour le moment, c’est de la révolution que nous parlons. « Avant la révolution, il n’y avait pas de démocratie, c’était un régime policier, dit un paysan. Aujourd’hui, c’est mieux. » Quand on lui demande s’il a pris part à cette révolution, il répond que non. « Il y a Internet et Facebook qui relient entre eux les intellectuels (1). » Ici, rien de tel ; seule la télévision. Mais ils sont pourtant au courant, et la carence du pouvoir dans les campagnes pendant quelques semaines a permis aux paysans de récupérer des terres qui leur avaient été spoliées avant la révolution par de grands propriétaires terriens ou des officiels de l’ancien régime, avec la complicité des autorités de l’Etat.
Les paysans égyptiens sont confrontés à un pouvoir que Bachir Sakr, ingénieur agricole et membre du Comité de solidarité avec les paysans, qualifie de « féodal » (2). En effet, « depuis une dizaine d’années, écrit François Ireton, (...) sont intervenus un certain nombre d’événements liés à des revendications foncières, en général totalement dénuées de fondement légal. D’anciens grands propriétaires, ou leurs héritiers, saisissent l’occasion de la mise en œuvre de la loi de 1992 [qui a libéralisé le marché de la location des terres agricoles], soit pour tenter de récupérer des terres ayant autrefois appartenu à leur famille et qui furent confisquées et redistribuées en petites propriétés lors de la réforme agraire de 1952, soit tout simplement pour mettre la main sur des terres qu’ils convoitent (3) ».
Dans le village d’Imaria, situé entre la ville de Damanhour et Alexandrie, dans le nord-est du Delta du Nil, les paysans affrontent un général de la sécurité de l’Etat, Tarek Heikal. Ils l’accusent de leur voler des terres en falsifiant des documents avec la complicité des fonctionnaires de l’Organisation de la réforme agraire, qui gère les terres redistribuées aux paysans après la réforme agraire du président Gamal Abdel Nasser. Selon eux, il leur a ainsi volé, en juin 2010, 5 feddans (4) qu’ils cultivaient. Ils avaient alors tenté, sans succès, de résister.
Puis vint la révolution. Les paysans ont alors décidé de cultiver ces terres, en profitant de l’absence du général. Celui-ci a riposté en envoyant ses hommes de mains. Des heurts violents ont eu lieu le 14 février ; un jeune du village a été blessé, disent-ils le lendemain. Et la villa du général, qui y venait en villégiature, a été détruite.
Dans le village voisin de Barnougui, c’est l’héritier d’une grande famille de propriétaires terriens, M. Saleh Nawwâr, que l’on accuse d’avoir volé 400 feddans aux paysans. Pendant la révolution de 2011, ce sont 50 feddans que les paysans ont mis d’eux-mêmes en culture. Pour M. Beshir Sakr, ingénieur agricole et membre du Comité de solidarité avec les paysans, ces prises de terre constituent « le second acte de la révolution. Les ouvriers font grève et revendiquent ; les paysans, eux, reprennent d’eux-mêmes leur outil de production : la terre. La révolution est pour eux une chance. »
Mais c’est à la seule condition que les féodaux ne récupèrent pas ces terres que la révolution égyptienne sera réellement réussie. Karam Saber Ibrahim, directeur du Centre de la Terre pour les droits de l’homme, y insiste. « Il n’est pas possible d’appeler cela une révolution s’il n’y a pas de changement pour les ouvriers, les paysans et les nécessiteux. Dans plus de cinquante villages aujourd’hui, les paysans réclament leurs terres, et, grâce à la révolution, de nombreux feddans sont en train d’être repris des mains des corrompus et des hommes d’affaires. Nous en sommes au début [de la révolution] ; il faut reprendre aux corrompus et faire une caisse pour les citoyens. Il y a des milliards qui doivent être redistribués. » La demande d’égalité et de justice sociale est forte aujourd’hui en Egypte. Elle ne passera pas uniquement par des réformes démocratiques et constitutionnelles. « Les gens ne mangent ni une constitution, ni l’Assemblée du peuple », conclut amèrement Karam Saber Ibrahim.
Les paysans égyptiens sont confrontés à un pouvoir que Bachir Sakr, ingénieur agricole et membre du Comité de solidarité avec les paysans, qualifie de « féodal » (2). En effet, « depuis une dizaine d’années, écrit François Ireton, (...) sont intervenus un certain nombre d’événements liés à des revendications foncières, en général totalement dénuées de fondement légal. D’anciens grands propriétaires, ou leurs héritiers, saisissent l’occasion de la mise en œuvre de la loi de 1992 [qui a libéralisé le marché de la location des terres agricoles], soit pour tenter de récupérer des terres ayant autrefois appartenu à leur famille et qui furent confisquées et redistribuées en petites propriétés lors de la réforme agraire de 1952, soit tout simplement pour mettre la main sur des terres qu’ils convoitent (3) ».
Dans le village d’Imaria, situé entre la ville de Damanhour et Alexandrie, dans le nord-est du Delta du Nil, les paysans affrontent un général de la sécurité de l’Etat, Tarek Heikal. Ils l’accusent de leur voler des terres en falsifiant des documents avec la complicité des fonctionnaires de l’Organisation de la réforme agraire, qui gère les terres redistribuées aux paysans après la réforme agraire du président Gamal Abdel Nasser. Selon eux, il leur a ainsi volé, en juin 2010, 5 feddans (4) qu’ils cultivaient. Ils avaient alors tenté, sans succès, de résister.
Puis vint la révolution. Les paysans ont alors décidé de cultiver ces terres, en profitant de l’absence du général. Celui-ci a riposté en envoyant ses hommes de mains. Des heurts violents ont eu lieu le 14 février ; un jeune du village a été blessé, disent-ils le lendemain. Et la villa du général, qui y venait en villégiature, a été détruite.
Dans le village voisin de Barnougui, c’est l’héritier d’une grande famille de propriétaires terriens, M. Saleh Nawwâr, que l’on accuse d’avoir volé 400 feddans aux paysans. Pendant la révolution de 2011, ce sont 50 feddans que les paysans ont mis d’eux-mêmes en culture. Pour M. Beshir Sakr, ingénieur agricole et membre du Comité de solidarité avec les paysans, ces prises de terre constituent « le second acte de la révolution. Les ouvriers font grève et revendiquent ; les paysans, eux, reprennent d’eux-mêmes leur outil de production : la terre. La révolution est pour eux une chance. »
Mais c’est à la seule condition que les féodaux ne récupèrent pas ces terres que la révolution égyptienne sera réellement réussie. Karam Saber Ibrahim, directeur du Centre de la Terre pour les droits de l’homme, y insiste. « Il n’est pas possible d’appeler cela une révolution s’il n’y a pas de changement pour les ouvriers, les paysans et les nécessiteux. Dans plus de cinquante villages aujourd’hui, les paysans réclament leurs terres, et, grâce à la révolution, de nombreux feddans sont en train d’être repris des mains des corrompus et des hommes d’affaires. Nous en sommes au début [de la révolution] ; il faut reprendre aux corrompus et faire une caisse pour les citoyens. Il y a des milliards qui doivent être redistribués. » La demande d’égalité et de justice sociale est forte aujourd’hui en Egypte. Elle ne passera pas uniquement par des réformes démocratiques et constitutionnelles. « Les gens ne mangent ni une constitution, ni l’Assemblée du peuple », conclut amèrement Karam Saber Ibrahim.
Raphaël Kempf.
Raphaël Kempf
Juriste.
(1) Le terme arabe mouthaqaf a une acception plus large que le mot intellectuel en français. Il sert à désigner de façon générale toute personne cultivée.
(2) Lire Beshir Sakr et Phanjof Tarcir, « La lutte toujours recommencée des paysans égyptiens », Le Monde diplomatique, octobre 2007.
(3) François Ireton, « La petite paysannerie dans la tourmente néolibérale », Chroniques égyptiennes 2006, Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ), Le Caire, juillet 2007, p. 38.
(4) Acre égyptienne et soudanaise (approximativement 40,0083 ares).
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