par Alain Gresh
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C’est le 14 février que se déroule à Bahreïn la première manifestation contre la dynastie régnante et que tombe la première victime ; le lendemain, lors de ses funérailles, un autre jeune homme est tué. Dans un geste spectaculaire, le roi présente alors ses excuses pour les morts, et les opposants occupent pacifiquement la place des Perles. Le 17 février au matin, l’armée donne l’assaut, tuant cinq personnes, dont certaines assassinées dans leur sommeil, sous la tente. Le lendemain, une nouvelle fois, l’armée se retire et, depuis, un calme précaire prévaut, même si les manifestations se poursuivent sans discontinuer. L’histoire singulière de cet archipel de quelques dizaines d’îles situé dans le Golfe, sa proximité avec l’Arabie saoudite et la présence du quartier général de la Ve flotte américaine, expliquent aussi bien la forte politisation de la population que les chassés-croisés de la monarchie et les incertitudes qui demeurent.
Deux siècles de domination perse, avant la colonisation britannique, ont marqué le pays, dont la majorité de la population, contrairement à la famille régnante (Al-Khalifa) sunnite, est chiite. Téhéran prétendit d’ailleurs annexer le Bahreïn lorsque Londres renonça, en 1968, à son protectorat. Mais la consultation organisée en 1970 sous le contrôle de l’ONU aboutit à l’indépendance, proclamée en août 1971. La vie à Bahreïn est marquée par une agitation politique chronique et par la présence de forces d’opposition, de gauche radicale et islamiste puissantes. La dissolution, en 1975, de l’assemblée élue deux ans plus tôt — signe, alors, d’une démocratisation balbutiante — et la découverte d’un « complot iranien » en 1981, puis d’une tentative de coup d’Etat en 1985, renforcent le caractère répressif du régime.
Mais l’opposition, de plus en plus dominée par les islamistes chiites (après la révolution iranienne de 1979), ne désarme pas, encouragée par les difficultés économiques, notamment le chômage, très élevé parmi les chiites, et par les discriminations. Elle réclame le retour à la Constitution de 1973 : des milliers de citoyens signent une pétition en ce sens en octobre 1994. Le mois suivant éclate une véritable intifada, qui se poursuivra plusieurs années. Des dizaines de personnes sont tuées, des centaines arrêtées ; la torture est une pratique courante.
En 1999, l’arrivée au pouvoir du nouvel émir cheikh Hamad bin Isa Al-Khalifa, succédant à son père décédé, permet une certaine ouverture démocratique : libération des opposants et retour dans l’émirat des exilés, reconnaissance de l’égalité entre les citoyens, abolition des lois d’exception et restauration de la liberté de parole. Une nouvelle Charte nationale, plébiscitée par référendum en février 2001, scelle la réconciliation nationale, mais celle-ci ne durera pas.
L’émir se proclame roi en février 2002. Il promulgue, sans consultation, une Constitution qui institue une Assemblée nationale bicamérale dont quarante membres sont bien élus, mais dont quarante autres sont désignés par le roi. Ce « coup d’Etat constitutionnel » s’accompagne d’une série de décrets royaux limitant le jeu politique. Les principaux mouvements de l’opposition (Al-Wefaq et Al-Waad, de gauche) boycottent les élections législatives d’octobre 2002 auxquelles, pour la première fois, les femmes sont autorisées à voter. Un compromis est finalement trouvé et l’opposition accepte de participer au scrutin du 2 décembre 2006.
C’est au même moment qu’éclate un scandale : des documents divulgués par un fonctionnaire britannique d’origine soudanaise révèlent que le gouvernement octroie la nationalité à des citoyens pakistanais ou arabes à condition qu’ils soient sunnites et que, d’autre part, il finance directement des journalistes et des candidats qui lui sont favorables. Les résultats du scrutin de 2006 ont confirmé l’influence du parti islamiste chiite Al-Wefaq, qui emporte 17 sièges sur 40. Mais la coexistence se révèle ardue et le gouvernement ne prend pas en compte les revendications de l’opposition. La protestation passe à nouveau dans la rue en 2010, et, même si les élections ont lieu au mois de novembre avec la participation d’Al-Wefaq (18 sièges), elles sont boycottées par un mouvement plus radical à l’égard du pouvoir, Al-Haq, et par les organisations de défense des droits humains qui cherchent à dépasser le clivage sunnites/chiites (lire Cortni Kerr et Toby C. Jones, « A Revolution paused in Bahrain », Middle East Report on line (Merip), 23 février). le mécontentement grandit qui débouche sur les manifestations du 14 février, la répression, puis le face-à-face qui se prolonge.
Les acteurs principaux sont d’abord les organisations nationales. Face à la mobilisation, perçue par une partie de la population comme chiite, voire manipulée par l’Iran, les forces favorables à la monarchie ont manifesté de manière massive, regroupant des dizaines de milliers de partisans, le plus souvent sur une base confessionnelle. Il faut toutefois noter que lors des dernières élections, on a assisté à un recul des islamistes sunnites, notamment des Frères musulmans.
Al-Wefaq s’est rallié au mouvement de protestation et ses députés ont décidé de quitter l’assemblée nationale. La libération par les autorités de tous les prisonniers politiques, l’amnistie accordée à Hassan Moushaimaa, un dirigeant du mouvement Al-Haq qui a pu rentrer d’exil (lire « Bahrain unrest : Shia dissident Hassan Mushaima returns », BBC News, 26 février), ont été des premières victoires. Mais elles ont mis aussi en évidence les divergences entre ceux qui réclament l’abolition pure et simple de la monarchie et ceux qui se prononcent pour une monarchie constitutionnelle, ces derniers craignant que des revendications plus radicales ne débouchent sur un affrontement entre sunnites et chiites.
Quant à la famille royale, elle semble divisée et pourra difficilement accepter l’idée même d’une monarchie constitutionnelle. Après avoir tenté d’acheter la population en offrant l’équivalent de 2 650 dollars à chaque famille, après avoir tenté la répression, les options sont limitées. Le roi et le prince héritier sont favorables au dialogue avec les oppositions, tandis que le premier ministre, en poste depuis plus de quarante ans, est partisan d’une ligne plus dure (lire Olivier Da Lage, « Bahreïn : dissensions chez les Al Khalifa ? », 20 février 2011.)
Les événements ne peuvent laisser indifférente l’Arabie saoudite, qui a toujours considéré la stabilité de Bahreïn comme relevant de la sécurité nationale, d’autant que ce petit royaume jouxte sa province est, à majorité chiite et où sont concentrées les richesses pétrolières. Les Saoud pourraient intervenir directement si cela est nécessaire, en utilisant le pont de 20 kilomètres de long qui relie l’île au royaume, pont inauguré en 1986 et dont tous les observateurs avaient noté à l’époque la dimension militaire.
Pour ajouter aux contradictions, Bahreïn abrite le quartier général de la Ve flotte américaine, et Washington a décidé d’y investir un demi-milliard de dollars, d’où les déclarations embarrassées de la Maison Blanche face à la répression. Le 25 février, le chef d’état-major américain, l’amiral Mike Mullen, en visite à Bahreïn, a déclaré que ce pays était un allié crucial (critical long-time ally). Et le président Obama a mis tout son poids dans le soutien à la volonté du roi d’entamer des réformes.
Deux siècles de domination perse, avant la colonisation britannique, ont marqué le pays, dont la majorité de la population, contrairement à la famille régnante (Al-Khalifa) sunnite, est chiite. Téhéran prétendit d’ailleurs annexer le Bahreïn lorsque Londres renonça, en 1968, à son protectorat. Mais la consultation organisée en 1970 sous le contrôle de l’ONU aboutit à l’indépendance, proclamée en août 1971. La vie à Bahreïn est marquée par une agitation politique chronique et par la présence de forces d’opposition, de gauche radicale et islamiste puissantes. La dissolution, en 1975, de l’assemblée élue deux ans plus tôt — signe, alors, d’une démocratisation balbutiante — et la découverte d’un « complot iranien » en 1981, puis d’une tentative de coup d’Etat en 1985, renforcent le caractère répressif du régime.
Mais l’opposition, de plus en plus dominée par les islamistes chiites (après la révolution iranienne de 1979), ne désarme pas, encouragée par les difficultés économiques, notamment le chômage, très élevé parmi les chiites, et par les discriminations. Elle réclame le retour à la Constitution de 1973 : des milliers de citoyens signent une pétition en ce sens en octobre 1994. Le mois suivant éclate une véritable intifada, qui se poursuivra plusieurs années. Des dizaines de personnes sont tuées, des centaines arrêtées ; la torture est une pratique courante.
En 1999, l’arrivée au pouvoir du nouvel émir cheikh Hamad bin Isa Al-Khalifa, succédant à son père décédé, permet une certaine ouverture démocratique : libération des opposants et retour dans l’émirat des exilés, reconnaissance de l’égalité entre les citoyens, abolition des lois d’exception et restauration de la liberté de parole. Une nouvelle Charte nationale, plébiscitée par référendum en février 2001, scelle la réconciliation nationale, mais celle-ci ne durera pas.
L’émir se proclame roi en février 2002. Il promulgue, sans consultation, une Constitution qui institue une Assemblée nationale bicamérale dont quarante membres sont bien élus, mais dont quarante autres sont désignés par le roi. Ce « coup d’Etat constitutionnel » s’accompagne d’une série de décrets royaux limitant le jeu politique. Les principaux mouvements de l’opposition (Al-Wefaq et Al-Waad, de gauche) boycottent les élections législatives d’octobre 2002 auxquelles, pour la première fois, les femmes sont autorisées à voter. Un compromis est finalement trouvé et l’opposition accepte de participer au scrutin du 2 décembre 2006.
C’est au même moment qu’éclate un scandale : des documents divulgués par un fonctionnaire britannique d’origine soudanaise révèlent que le gouvernement octroie la nationalité à des citoyens pakistanais ou arabes à condition qu’ils soient sunnites et que, d’autre part, il finance directement des journalistes et des candidats qui lui sont favorables. Les résultats du scrutin de 2006 ont confirmé l’influence du parti islamiste chiite Al-Wefaq, qui emporte 17 sièges sur 40. Mais la coexistence se révèle ardue et le gouvernement ne prend pas en compte les revendications de l’opposition. La protestation passe à nouveau dans la rue en 2010, et, même si les élections ont lieu au mois de novembre avec la participation d’Al-Wefaq (18 sièges), elles sont boycottées par un mouvement plus radical à l’égard du pouvoir, Al-Haq, et par les organisations de défense des droits humains qui cherchent à dépasser le clivage sunnites/chiites (lire Cortni Kerr et Toby C. Jones, « A Revolution paused in Bahrain », Middle East Report on line (Merip), 23 février). le mécontentement grandit qui débouche sur les manifestations du 14 février, la répression, puis le face-à-face qui se prolonge.
Les acteurs principaux sont d’abord les organisations nationales. Face à la mobilisation, perçue par une partie de la population comme chiite, voire manipulée par l’Iran, les forces favorables à la monarchie ont manifesté de manière massive, regroupant des dizaines de milliers de partisans, le plus souvent sur une base confessionnelle. Il faut toutefois noter que lors des dernières élections, on a assisté à un recul des islamistes sunnites, notamment des Frères musulmans.
Al-Wefaq s’est rallié au mouvement de protestation et ses députés ont décidé de quitter l’assemblée nationale. La libération par les autorités de tous les prisonniers politiques, l’amnistie accordée à Hassan Moushaimaa, un dirigeant du mouvement Al-Haq qui a pu rentrer d’exil (lire « Bahrain unrest : Shia dissident Hassan Mushaima returns », BBC News, 26 février), ont été des premières victoires. Mais elles ont mis aussi en évidence les divergences entre ceux qui réclament l’abolition pure et simple de la monarchie et ceux qui se prononcent pour une monarchie constitutionnelle, ces derniers craignant que des revendications plus radicales ne débouchent sur un affrontement entre sunnites et chiites.
Quant à la famille royale, elle semble divisée et pourra difficilement accepter l’idée même d’une monarchie constitutionnelle. Après avoir tenté d’acheter la population en offrant l’équivalent de 2 650 dollars à chaque famille, après avoir tenté la répression, les options sont limitées. Le roi et le prince héritier sont favorables au dialogue avec les oppositions, tandis que le premier ministre, en poste depuis plus de quarante ans, est partisan d’une ligne plus dure (lire Olivier Da Lage, « Bahreïn : dissensions chez les Al Khalifa ? », 20 février 2011.)
Les événements ne peuvent laisser indifférente l’Arabie saoudite, qui a toujours considéré la stabilité de Bahreïn comme relevant de la sécurité nationale, d’autant que ce petit royaume jouxte sa province est, à majorité chiite et où sont concentrées les richesses pétrolières. Les Saoud pourraient intervenir directement si cela est nécessaire, en utilisant le pont de 20 kilomètres de long qui relie l’île au royaume, pont inauguré en 1986 et dont tous les observateurs avaient noté à l’époque la dimension militaire.
Pour ajouter aux contradictions, Bahreïn abrite le quartier général de la Ve flotte américaine, et Washington a décidé d’y investir un demi-milliard de dollars, d’où les déclarations embarrassées de la Maison Blanche face à la répression. Le 25 février, le chef d’état-major américain, l’amiral Mike Mullen, en visite à Bahreïn, a déclaré que ce pays était un allié crucial (critical long-time ally). Et le président Obama a mis tout son poids dans le soutien à la volonté du roi d’entamer des réformes.
On notera la couverture assez « nuancée » des manifestations par Al-Jazira, qui a joué un rôle décisif pour répercuter les soulèvements égyptien et tunisien et qui relaie les événements de Libye sans cacher son soutien à l’opposition au colonel Kadhafi : l’émir du Qatar, sponsor de la chaîne, ne veut pas fâcher ses voisins saoudiens, avec qui il vient de se réconcilier.
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