Par Benjamin Vautrin
pour http://blog.mondediplo.net
[2] Audition parlementaire du Conseil de l’Europe sur les accidents nucléaires, 8 et 9 janvier 1987, Paris.
[3] Si l’on ne prend pas en compte les accidents survenus à Kytchym, dans l’Oural en URSS en 1957 et à la centrale de Three Mile Island en 1979 aux Etats-Unis.
[4] Etablie au Japon par le Radiation Effects Research Foundation (RERP)
[5] Marc Molitor, Tchernobyl : déni passé, menace future ?, éd. Racines, Bruxelles, avril 2011.
[6] L’OMS est liée à l’AIEA sur la question du nucléaire depuis 1959 par l’accord WHA12-40. Lire Alison Katz, « Les dossiers enterrés de Tchernobyl », Le Monde diplomatique, mars 2008.
[7] Lire Alison Katz, « Conséquences de Tchernobyl », Le Monde diplomatique, décembre 2010.
[8] Youri Bandajevsky, scientifique biélorusse condamné à huit ans de prison, libéré en août 2005 après six ans d’emprisonnement.
[9] Alexey V. Yablokov, Vassily B. Nesterenko and Alexey V. Nesterenko, « Chernobyl Consequences of the Catastrophe for People and the Environment », Annals of the New York Academy of Sciences, décembre 2009.
[10] Marc Molitor, Tchernobyl : déni passé, menace future ?, éd. Racines, Bruxelles, avril 2011.
[11] « Enfants de Tchernobyl Belarus » : http://enfants-tchernobyl-belarus.org
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Le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 qui ont endommagé la centrale de Fukushima au Japon, et entraîné le pire accident nucléaire depuis Tchernobyl nous rappellent qu’aucune technologie n’est totalement sous contrôle. « Fukushima a fait réapparaître un monstre qui n’était assoupi que pour ceux qui dorment à poings fermés » faisait récemment remarquer le journaliste Fabrice Nicolino. Quel recul avons-nous pour mesurer les conséquences de cette nouvelle catastrophe ?
Les gouvernements et leurs partenaires industriels élaborent leurs choix d’investissements technologiques en fonction d’une règle qui compare le risque au bénéfice. Les risques induits et la probabilité d’un accident sont théoriquement compensés par le bien être et les avantages qui profite à la société. « Même s’il y avait une catastrophe de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme une énergie intéressante » s’exclamait Morris Rosen, directeur de la sureté nucléaire de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), quatre mois après les événements de Tchernobyl [1]. Il récidivera un peu plus tard à Paris en affirmant qu’« un accident nucléaire grave n’est pas impossible, mais très improbable. L’accident de Tchernobyl n’est pas acceptable, mais les risques qu’un tel accident se produise à nouveau pourraient être tolérables si l’on compare ces risques à ceux que comporte la production d’autres sources d’énergie [2] ». Quels sont les critères qui permettent d’évaluer le danger réel ?
Le dogme d’Hiroshima
Les analyses des conséquences de l’explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, sont basées sur une « norme » établie d’après les observations faites à la suite de l’explosion des bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki en 1945, seuls événements dans l’histoire ayant provoqué l’irradiation d’un grand nombre de personnes et surtout ayant fait l’objet d’un travail de collecte statistique [3].
Cette norme précise le lien entre dose reçue et surcroît de cas de cancer. Mais l’étude est incomplète car, d’une part, elle ne porte que sur les survivants à cinq ans (les données de la période 1945-1950 étant conservées par l’armée américaine) et, d’autre part, elle ne prend pas en compte les autres pathologies.
Comparer les simples doses reçues, selon qu’elles soient moyennes ou localisées, n’a aucun sens quand elles sont de natures différentes. Dans le cas d’Hiroshima, les victimes ont reçu une très forte irradiation externe sous la forme d’un flash sur une courte période. Les liquidateurs présents sur le site de la centrale de Tchernobyl ont également été contaminés à forte dose de manière externe. Ce sont ces effets qui sont pris en compte. On exclut donc toute une partie de la population irradiée par rayonnement interne : l’explosion de Tchernobyl a libéré des cendres, particules irradiées d’isotopes dont la durée de vie est très longue, et qui, propagées dans l’environnement, continuent d’irradier. Les éléments radioactifs, principalement le césium 137, contaminent aujourd’hui les trente premiers centimètres du sol dans les zones atteintes. Les plantes qui y poussent et les animaux qui s’y nourrissent sont eux-mêmes irradiés, et ce processus contamine la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme. Dans le corps, les éléments radioactifs continuent d’irradier, se fixant sur les glandes, les muscles, le cœur, et les organes, causant des dégâts irrémédiables.
Le docteur Mikhail Malko, de l’Académie nationale des sciences de Biélorussie, nous expliquait, lors d’un entretien en mars 2011, les biais induits par le dogme d’Hiroshima : « Pour évaluer les cancers en Biélorussie, à la suite de Tchernobyl, on nous a demandé d’appliquer la norme d’Hiroshima [4] en baissant le coefficient, considérant que les irradiations externes reçues à Tchernobyl — en valeur absolue — étaient moindres que celles d’Hiroshima. J’ai appliqué la norme d’Hiroshima, et j’ai obtenu un nombre de cancers dix fois inférieur à ceux que nous avons pu observer de manière empirique ! Les radiations reçues de manière externe dans les semaines suivant l’accident de Tchernobyl étaient ceux des éléments à la durée de vie la plus courte. Après quatre ans, les radiations externes subies ont baissé d’un facteur 20. Le césium 134 a presque disparu mais le césium 137 subsiste toujours. S’il irradie très peu de manière externe, il est en revanche toujours présent aujourd’hui dans l’alimentation. »
La Biélorussie est le seul pays de l’ex bloc soviétique a avoir tenu un registre des cancers (y compris leucémie et thyroïde) depuis 1953, information ignorée par la communauté d’experts internationaux chargés d’étudier le phénomène. Des données de comparaison très précises sont donc possibles sur les populations :
« J’affirme, poursuit Mikhail Malko, que les conséquences des irradiations internes régulières à faibles doses sont plus néfastes que celles subies par les populations d’Hiroshima et Nagasaki. Selon mes estimations, le nombre de cancers supplémentaires induits par la catastrophe de Tchernobyl, est de 9 000 cancers de la thyroïde, plus de 2 000 leucémies et 2 000 cancers des poumons. Et cela uniquement pour la Biélorussie ! »
Le professeur Alexei Okeanov confiait dans une interview en 2006 [5] qu’il estimait le nombre de cancers supplémentaires induits par Tchernobyl à 1 600 cas par an, uniquement pour la Biélorussie, auxquels doivent s’ajouter des pathologies cardio-vasculaires, des cataractes, des maladies endocriniennes et immunologiques, conséquences des irradiations chroniques à faible dose.
Dans une position officielle commune, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’AIEA [6], en 2006, n’admettaient au total qu’une cinquantaine de morts parmi les liquidateurs, 4 000 cancers mortels induits et 4 000 cancers non mortels de la thyroïde. A l’évocation de la mortalité élevée constatée dans la population des zones concernées, ces deux instances (OMS et AIEA) donnent pour seule explication… la radiophobie et le stress dû aux changements politiques et économiques survenus au début des années 1990 !
A Tchernobyl même, de nombreuses études ont été réalisées par des scientifiques indépendants. Leur lisibilité est restée moindre du fait de la barrière de la langue, et de la répression directement exercée à l’encontre de certains d’entre eux [8]. La mise en commun des travaux, le support de relais tels que la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) ou d’homologues scientifiques européens a permis une diffusion des résultats : un rapport de l’Académie des sciences de New York, fruit de 20 années de collecte d’informations sur le terrain, a été publié en décembre 2009 [9].
Le biologiste russe Alexey Yablokov, la généticienne biélorusse Rosa Gontcharova, et l’équipe de l’institut Belrad à Minsk, sont les artisans de cette étude qui repose sur un titanesque travail de mesure et de collecte de données. Créé en 1990 par le professeur Vassili Nesterenko (décédé en 2008), le centre est désormais dirigé par son fils Alexeï. Depuis vingt ans, le centre assure un suivi des populations vivant en zone contaminée et prodigue, en priorité aux enfants, un traitement à base de pectine de pomme permettant de faire diminuer la présence de radionucléides présents dans le corps.
« Actuellement, le risque principal pour ces populations reste l’ingestion des aliments irradiés collectés localement, nous explique Alexei Nesterenko, et les effets que cela produit sur ces personnes. Le manque de revenus pousse une partie de la population à cultiver dans son potager ses propres aliments, ainsi qu’à collecter en forêt baies et champignons. 16 % des échantillons alimentaires que nous avons analysés présentent un excès par rapport au niveau admissible de radionucléides (lait, champignon, baies, gibier, foin du bétail...). Le mois dernier, nous avons mesuré des champignons secs dans la région de Moguilev qui dépassaient les 170 000 Bq/kg (la norme est de 2 500 Bq/kg). C’est autant voire plus radioactif que des déchets nucléaires de faible activité ! Actuellement, 80 % de la radiation subie l’est par voie interne. Ce pourcentage ne fera qu’augmenter dans le futur à mesure que la radiation externe diminuera. »
Et en Biélorussie, les choix politiques accentuent les problèmes sanitaires… « La Biélorussie a vu 20 % de ses terres agricoles et 25 % de ses forêts contaminées, écrit Marc Molitor. A partir de la fin des années 1990, le président Loukachenko a clairement fait savoir qu’il voulait les “reconquérir”, c’est à dire […] les rendre à l’exploitation économique [10]. » Ce qui explique qu’il est hors de question, dans ce cas, de déplacer les populations. C’est au contraire la réhabilitation et le repeuplement des zones contaminées que l’on vise, en déclassifiant ces zones et en proposant une somme d’argent pour les familles souhaitant s’y installer.
Pourtant, la situation radiologique reste préoccupante. « Il est fréquent que nous mesurions des enfants présentant des doses de césium 137 allant jusqu’à plus de 100 Bq/kg, poursuit Alexei Nesterenko. Au dessus de 30 Bq/kg tous les systèmes et organes vitaux sont affectés, et au dessus de 50 Bq/kg les lésions sont irréversibles. Il faudrait permettre à ceux qui vivent dans ces zones de s’alimenter correctement avec des produits importés. Mais cela a un coût que beaucoup de familles ne peuvent supporter. C’est pourquoi, en plus des cures de pectine, une information pour les populations sur les dangers des produits irradiés est essentielle, chose que nous nous efforçons de faire par des formations en collaboration avec les écoles et dispensaires locaux. »
Aussi aberrant que cela puisse paraître, l’institut Belrad n’a comme seule source de financement que les dons de particuliers via des associations citoyennes [11]. La France préfère financer les travaux du CEPN (Centre d’étude sur l’évaluation et la protection dans le domaine du nucléaire — dont Areva et EDF sont membres). La Biélorussie, qui a fait le choix de construction d’une centrale nucléaire pour son indépendance énergétique, a cessé toute contribution depuis 2005.
Tout scientifique digne de ce nom place le doute au cœur de sa méthode. Quand la réalité diffère à ce point de ce que la théorie prévoit, une remise en question s’impose. Les données choisies offrent un confort rhétorique aux organismes chargés d’assurer le contrôle radiologique et notre sécurité. Les normes qu’elles définissent et qui sont actuellement utilisées sont non seulement insuffisantes, mais dangereuses car définies sur des critères qui sont loin d’être fiables.
A lire
Svetlana Alexievitch, La supplication, Tchernobyl, chronique du Monde après l’apocalypse, éditions Jean-Claude Lattès, Paris, 1998.
Le dogme d’Hiroshima
Les analyses des conséquences de l’explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, sont basées sur une « norme » établie d’après les observations faites à la suite de l’explosion des bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki en 1945, seuls événements dans l’histoire ayant provoqué l’irradiation d’un grand nombre de personnes et surtout ayant fait l’objet d’un travail de collecte statistique [3].
Cette norme précise le lien entre dose reçue et surcroît de cas de cancer. Mais l’étude est incomplète car, d’une part, elle ne porte que sur les survivants à cinq ans (les données de la période 1945-1950 étant conservées par l’armée américaine) et, d’autre part, elle ne prend pas en compte les autres pathologies.
Comparer les simples doses reçues, selon qu’elles soient moyennes ou localisées, n’a aucun sens quand elles sont de natures différentes. Dans le cas d’Hiroshima, les victimes ont reçu une très forte irradiation externe sous la forme d’un flash sur une courte période. Les liquidateurs présents sur le site de la centrale de Tchernobyl ont également été contaminés à forte dose de manière externe. Ce sont ces effets qui sont pris en compte. On exclut donc toute une partie de la population irradiée par rayonnement interne : l’explosion de Tchernobyl a libéré des cendres, particules irradiées d’isotopes dont la durée de vie est très longue, et qui, propagées dans l’environnement, continuent d’irradier. Les éléments radioactifs, principalement le césium 137, contaminent aujourd’hui les trente premiers centimètres du sol dans les zones atteintes. Les plantes qui y poussent et les animaux qui s’y nourrissent sont eux-mêmes irradiés, et ce processus contamine la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme. Dans le corps, les éléments radioactifs continuent d’irradier, se fixant sur les glandes, les muscles, le cœur, et les organes, causant des dégâts irrémédiables.
Le docteur Mikhail Malko, de l’Académie nationale des sciences de Biélorussie, nous expliquait, lors d’un entretien en mars 2011, les biais induits par le dogme d’Hiroshima : « Pour évaluer les cancers en Biélorussie, à la suite de Tchernobyl, on nous a demandé d’appliquer la norme d’Hiroshima [4] en baissant le coefficient, considérant que les irradiations externes reçues à Tchernobyl — en valeur absolue — étaient moindres que celles d’Hiroshima. J’ai appliqué la norme d’Hiroshima, et j’ai obtenu un nombre de cancers dix fois inférieur à ceux que nous avons pu observer de manière empirique ! Les radiations reçues de manière externe dans les semaines suivant l’accident de Tchernobyl étaient ceux des éléments à la durée de vie la plus courte. Après quatre ans, les radiations externes subies ont baissé d’un facteur 20. Le césium 134 a presque disparu mais le césium 137 subsiste toujours. S’il irradie très peu de manière externe, il est en revanche toujours présent aujourd’hui dans l’alimentation. »
La Biélorussie est le seul pays de l’ex bloc soviétique a avoir tenu un registre des cancers (y compris leucémie et thyroïde) depuis 1953, information ignorée par la communauté d’experts internationaux chargés d’étudier le phénomène. Des données de comparaison très précises sont donc possibles sur les populations :
« J’affirme, poursuit Mikhail Malko, que les conséquences des irradiations internes régulières à faibles doses sont plus néfastes que celles subies par les populations d’Hiroshima et Nagasaki. Selon mes estimations, le nombre de cancers supplémentaires induits par la catastrophe de Tchernobyl, est de 9 000 cancers de la thyroïde, plus de 2 000 leucémies et 2 000 cancers des poumons. Et cela uniquement pour la Biélorussie ! »
Le professeur Alexei Okeanov confiait dans une interview en 2006 [5] qu’il estimait le nombre de cancers supplémentaires induits par Tchernobyl à 1 600 cas par an, uniquement pour la Biélorussie, auxquels doivent s’ajouter des pathologies cardio-vasculaires, des cataractes, des maladies endocriniennes et immunologiques, conséquences des irradiations chroniques à faible dose.
Dans une position officielle commune, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’AIEA [6], en 2006, n’admettaient au total qu’une cinquantaine de morts parmi les liquidateurs, 4 000 cancers mortels induits et 4 000 cancers non mortels de la thyroïde. A l’évocation de la mortalité élevée constatée dans la population des zones concernées, ces deux instances (OMS et AIEA) donnent pour seule explication… la radiophobie et le stress dû aux changements politiques et économiques survenus au début des années 1990 !
Etudes locales contre posture internationale
Les enjeux et les intérêts défendus par le lobby nucléaire et les instances internationales qui lui sont affiliées occultent l’utilisation des données scientifiques existantes [7]. Cette posture conduit à ignorer toute étude indépendante locale ne répondant pas aux standards du discours dominant sur un nucléaire civil « gérable » du point de vue du démantèlement et du stockage des déchets, ou des conséquences d’accidents plus ou moins graves. Les données collectées par l’OMS ne résultent d’aucune étude de terrain, mais sont envoyées par les autorités sanitaires de chaque pays. Ce sont donc des données choisies, et hautement politiques.
A Tchernobyl même, de nombreuses études ont été réalisées par des scientifiques indépendants. Leur lisibilité est restée moindre du fait de la barrière de la langue, et de la répression directement exercée à l’encontre de certains d’entre eux [8]. La mise en commun des travaux, le support de relais tels que la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) ou d’homologues scientifiques européens a permis une diffusion des résultats : un rapport de l’Académie des sciences de New York, fruit de 20 années de collecte d’informations sur le terrain, a été publié en décembre 2009 [9].
Le biologiste russe Alexey Yablokov, la généticienne biélorusse Rosa Gontcharova, et l’équipe de l’institut Belrad à Minsk, sont les artisans de cette étude qui repose sur un titanesque travail de mesure et de collecte de données. Créé en 1990 par le professeur Vassili Nesterenko (décédé en 2008), le centre est désormais dirigé par son fils Alexeï. Depuis vingt ans, le centre assure un suivi des populations vivant en zone contaminée et prodigue, en priorité aux enfants, un traitement à base de pectine de pomme permettant de faire diminuer la présence de radionucléides présents dans le corps.
« Actuellement, le risque principal pour ces populations reste l’ingestion des aliments irradiés collectés localement, nous explique Alexei Nesterenko, et les effets que cela produit sur ces personnes. Le manque de revenus pousse une partie de la population à cultiver dans son potager ses propres aliments, ainsi qu’à collecter en forêt baies et champignons. 16 % des échantillons alimentaires que nous avons analysés présentent un excès par rapport au niveau admissible de radionucléides (lait, champignon, baies, gibier, foin du bétail...). Le mois dernier, nous avons mesuré des champignons secs dans la région de Moguilev qui dépassaient les 170 000 Bq/kg (la norme est de 2 500 Bq/kg). C’est autant voire plus radioactif que des déchets nucléaires de faible activité ! Actuellement, 80 % de la radiation subie l’est par voie interne. Ce pourcentage ne fera qu’augmenter dans le futur à mesure que la radiation externe diminuera. »
Et en Biélorussie, les choix politiques accentuent les problèmes sanitaires… « La Biélorussie a vu 20 % de ses terres agricoles et 25 % de ses forêts contaminées, écrit Marc Molitor. A partir de la fin des années 1990, le président Loukachenko a clairement fait savoir qu’il voulait les “reconquérir”, c’est à dire […] les rendre à l’exploitation économique [10]. » Ce qui explique qu’il est hors de question, dans ce cas, de déplacer les populations. C’est au contraire la réhabilitation et le repeuplement des zones contaminées que l’on vise, en déclassifiant ces zones et en proposant une somme d’argent pour les familles souhaitant s’y installer.
Pourtant, la situation radiologique reste préoccupante. « Il est fréquent que nous mesurions des enfants présentant des doses de césium 137 allant jusqu’à plus de 100 Bq/kg, poursuit Alexei Nesterenko. Au dessus de 30 Bq/kg tous les systèmes et organes vitaux sont affectés, et au dessus de 50 Bq/kg les lésions sont irréversibles. Il faudrait permettre à ceux qui vivent dans ces zones de s’alimenter correctement avec des produits importés. Mais cela a un coût que beaucoup de familles ne peuvent supporter. C’est pourquoi, en plus des cures de pectine, une information pour les populations sur les dangers des produits irradiés est essentielle, chose que nous nous efforçons de faire par des formations en collaboration avec les écoles et dispensaires locaux. »
Des enjeux à l’échelle mondiale
Les travaux réalisés sur les conséquences sur la santé des irradiations chroniques à faible dose sont de première importance, mais restent peu diffusés. Si l’on comprend qu’ils aident à dresser le vrai bilan de la catastrophe de Tchernobyl, leur reconnaissance pourrait donner une tout autre lecture des véritables conséquences de la catastrophe de Fukushima, et des doses jugées « non dangereuses » par les autorités. Elle permettraient aussi d’envisager sous un autre angle la situation des populations vivant à proximité des centrales en exploitation, et soumises, elles aussi, à des irradiations chroniques à faible dose.
Aussi aberrant que cela puisse paraître, l’institut Belrad n’a comme seule source de financement que les dons de particuliers via des associations citoyennes [11]. La France préfère financer les travaux du CEPN (Centre d’étude sur l’évaluation et la protection dans le domaine du nucléaire — dont Areva et EDF sont membres). La Biélorussie, qui a fait le choix de construction d’une centrale nucléaire pour son indépendance énergétique, a cessé toute contribution depuis 2005.
Tout scientifique digne de ce nom place le doute au cœur de sa méthode. Quand la réalité diffère à ce point de ce que la théorie prévoit, une remise en question s’impose. Les données choisies offrent un confort rhétorique aux organismes chargés d’assurer le contrôle radiologique et notre sécurité. Les normes qu’elles définissent et qui sont actuellement utilisées sont non seulement insuffisantes, mais dangereuses car définies sur des critères qui sont loin d’être fiables.
Benjamin Vautrin est journaliste et vit à Minsk.
Les légumes, viandes et autres produits vendus en Biélorussie sont censés être légalement contrôlés. Mais quelles normes servent à ces contrôles ? La déclassification hâtive de certaines terres agricoles n’exclut pas que de la nourriture irradiée soit mise sur le marché.
A lire
Svetlana Alexievitch, La supplication, Tchernobyl, chronique du Monde après l’apocalypse, éditions Jean-Claude Lattès, Paris, 1998.
Notes
[1] Le Monde, 28 août 1986.
[2] Audition parlementaire du Conseil de l’Europe sur les accidents nucléaires, 8 et 9 janvier 1987, Paris.
[3] Si l’on ne prend pas en compte les accidents survenus à Kytchym, dans l’Oural en URSS en 1957 et à la centrale de Three Mile Island en 1979 aux Etats-Unis.
[4] Etablie au Japon par le Radiation Effects Research Foundation (RERP)
[5] Marc Molitor, Tchernobyl : déni passé, menace future ?, éd. Racines, Bruxelles, avril 2011.
[6] L’OMS est liée à l’AIEA sur la question du nucléaire depuis 1959 par l’accord WHA12-40. Lire Alison Katz, « Les dossiers enterrés de Tchernobyl », Le Monde diplomatique, mars 2008.
[7] Lire Alison Katz, « Conséquences de Tchernobyl », Le Monde diplomatique, décembre 2010.
[8] Youri Bandajevsky, scientifique biélorusse condamné à huit ans de prison, libéré en août 2005 après six ans d’emprisonnement.
[9] Alexey V. Yablokov, Vassily B. Nesterenko and Alexey V. Nesterenko, « Chernobyl Consequences of the Catastrophe for People and the Environment », Annals of the New York Academy of Sciences, décembre 2009.
[10] Marc Molitor, Tchernobyl : déni passé, menace future ?, éd. Racines, Bruxelles, avril 2011.
[11] « Enfants de Tchernobyl Belarus » : http://enfants-tchernobyl-belarus.org
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