Par Federico Labanti et Nieves López Izquierdo
pour http://blog.mondediplo.net
« Les contrebandiers font le plein des voitures aux stations-service, poursuit-il, ce sont des grosses voitures, avec des réservoirs modifiés dont la capacité est plus importante que des réservoirs normaux. Sur les rives de la lagune, à Carrasquero, ils transvasent l’essence dans des bidons, et ils marchandent avec les propriétaires des barques qui les transportent de l’autre côté, au nord, où ils sont récupérés par des camions qui les revendent près de la frontière colombienne, à un prix bien plus élevé qu’au Venezuela. Grâce aux bateaux, on évite le Río Limón et la route côtière où se concentrent les contrôles de police. Ils paient environ 50 bolívares [9 euros] le bidon en moyenne, mais le prix dépend beaucoup du marché. »
Magalay, une vieille femme Añú qui habite un petite maison sur pilotis, raconte : « Aujourd’hui, nous sommes envahis par la pollution. Avec tous ces allers-retours pour transporter les bidons, l’eau est pleine d’essence, c’est pour ça que les poissons meurent. C’est aussi très dangereux parce que les bidons sont stockés dans les palafittes, et il suffit d’une étincelle pour faire tout exploser. C’est déjà arrivé trois fois. Bien sûr, si je dois choisir entre les bidons d’essence ou voir les enfants mourir de faim… C’est vrai qu’aujourd’hui il n’y a pas d’autre travail possible. Le problème, c’est que les gens n’ont pas encore compris qu’il serait possible de développer d’autres activités en respectant notre terre, notre écosystème. »
L’afflux constant de nouveaux habitants à la recherche d’emplois, attirés par la localisation et le faible niveau économique de Santa Rosa, a encouragé le remblaiement d’une partie de la côte pour permettre la construction de nouvelles habitations modestes, unissant de cette manière à la terre ferme ce qui auparavant était exclusivement un habitat sur pilotis. Avec la croissance démographique, les problèmes environnementaux et sociaux se sont accentués. Analcy Rodríguez, coordinatrice du Centre d’éducation populaire de Santa Rosa, explique : « D’un côté, l’explosion démographique nous a entraînés dans le gouffre de l’insécurité, et de l’autre elle a fait disparaître le tourisme. Avant, nous nous connaissions tous, nous étions seulement quelques familles et la délinquance n’existait pas. Aujourd’hui, les conditions de misère généralisée ont favorisé l’augmentation des vols et des agressions. »
Le site a perdu beaucoup de son intérêt touristique depuis que tout est bétonné et l’eau contaminée. « Un autre des problèmes auxquels nous avons dû faire face durant ces dernières années, continue Analcy, est le rejet des déchets urbains directement dans le lac. Santa Rosa n’a pas de système de récupération des déchets, ni de traitement des eaux usées, et bien que nous ayons lancé de nombreuses campagnes de sensibilisation dans le voisinage, les gens continuent de tout jeter dans le lac. Les courants du lac, qui remontent de l’embouchure du Rio Catatumbo jusqu’à l’entrée du lac, portent jusqu’ici les déchets produits tout le long de la côte. Tout arrive ici. »
Le patrimoine naturel de Santa Rosa compte aussi une grande forêt de mangrove, la Punta Capitán Chico, qui est actuellement le seul poumon vert de la ville de Maracaibo. « La forêt est soumise à une forte pression, entre la contamination directe due aux émissions du complexe pétrochimique et l’accumulation de déchets, plastique, boîtes de conserve, rejet des égouts à ciel ouvert… »
Reconnus sur le papier,
Les populations autochtones Añú, Wayuú, Yukpa et Barí, qui vivent sur la langue de terre se trouvant entre la Colombie et la côte occidentale du lac de Maracaibo, souffrent plus que les autres des pressions dues à la pollution et aux intérêts économiques liés à la présence de ressources stratégiques. S’ils se trouvent aujourd’hui dans une des phases les plus critiques de leur histoire, ils ont tout de même, bien plus qu’auparavant, la possibilité de se faire entendre et de faire reconnaître leurs droits constitutionnels.
pour http://blog.mondediplo.net
Sur les côtes du lac de Maracaibo se trouvent une trentaine de villages sur pilotis. Pendant des siècles, ces peuples autochtones ont vécu en parfaite symbiose avec leur environnement lagunaire, mais cette fragile interdépendance a été compromise ces dernières années par la pression démographique et par des niveaux de pollution du lac toujours plus élevés, qui mettent en péril leur principale source de revenus : la pêche.
Essence en contrebande
Située au nord de Maracaibo, la lagune de Sinamaica est une sorte de paradis naturel, un dédale de canaux et de mangroves au cœur duquel s’est développée la culture Añú. Puisque les habitants de la lagune ne peuvent pratiquement plus pêcher tant l’eau est polluée, ils se spécialisent dans… le transport illégal d’essence. Carlos, un pêcheur de la lagune, raconte comment fonctionne ce trafic tout en dirigeant son bateau au milieu du labyrinthe aquatique : « Depuis quelques années, le transport de bidons d’essence marche très bien. Il n’y a pas beaucoup d’autres sources de revenus ici, il est de plus en plus difficile de pêcher et la vie est toujours plus chère. Grâce à Dieu, le transport de bidons aide certains pères de famille. »
« Les contrebandiers font le plein des voitures aux stations-service, poursuit-il, ce sont des grosses voitures, avec des réservoirs modifiés dont la capacité est plus importante que des réservoirs normaux. Sur les rives de la lagune, à Carrasquero, ils transvasent l’essence dans des bidons, et ils marchandent avec les propriétaires des barques qui les transportent de l’autre côté, au nord, où ils sont récupérés par des camions qui les revendent près de la frontière colombienne, à un prix bien plus élevé qu’au Venezuela. Grâce aux bateaux, on évite le Río Limón et la route côtière où se concentrent les contrôles de police. Ils paient environ 50 bolívares [9 euros] le bidon en moyenne, mais le prix dépend beaucoup du marché. »
Magalay, une vieille femme Añú qui habite un petite maison sur pilotis, raconte : « Aujourd’hui, nous sommes envahis par la pollution. Avec tous ces allers-retours pour transporter les bidons, l’eau est pleine d’essence, c’est pour ça que les poissons meurent. C’est aussi très dangereux parce que les bidons sont stockés dans les palafittes, et il suffit d’une étincelle pour faire tout exploser. C’est déjà arrivé trois fois. Bien sûr, si je dois choisir entre les bidons d’essence ou voir les enfants mourir de faim… C’est vrai qu’aujourd’hui il n’y a pas d’autre travail possible. Le problème, c’est que les gens n’ont pas encore compris qu’il serait possible de développer d’autres activités en respectant notre terre, notre écosystème. »
- Contrebande d’essence et stockage de réservoirs dans une maison – Lagune de Sinamaica
- Photos : Fe. La.
Une nouvelle périphérie dégradée
Une autre enclave historique de la culture « amphibie » Añú est la localité de Santa Rosa de Aguas, à quelques kilomètres du centre de Maracaibo, à l’endroit où la baie se rétrécit pour laisser place au détroit. Il y a seulement vingt ans, c’était une petite bourgade séparée de la métropole, construite entièrement sur l’eau grâce aux pilotis faits avec le bois de la mangrove, et dans laquelle l’activité économique traditionnelle, la pêche, faisait bon ménage avec celle, plus moderne, du tourisme. En peu de temps, ce fragile écosystème a été phagocyté par la croissance incontrôlée des banlieues entourant la ville de Maracaibo.
L’afflux constant de nouveaux habitants à la recherche d’emplois, attirés par la localisation et le faible niveau économique de Santa Rosa, a encouragé le remblaiement d’une partie de la côte pour permettre la construction de nouvelles habitations modestes, unissant de cette manière à la terre ferme ce qui auparavant était exclusivement un habitat sur pilotis. Avec la croissance démographique, les problèmes environnementaux et sociaux se sont accentués. Analcy Rodríguez, coordinatrice du Centre d’éducation populaire de Santa Rosa, explique : « D’un côté, l’explosion démographique nous a entraînés dans le gouffre de l’insécurité, et de l’autre elle a fait disparaître le tourisme. Avant, nous nous connaissions tous, nous étions seulement quelques familles et la délinquance n’existait pas. Aujourd’hui, les conditions de misère généralisée ont favorisé l’augmentation des vols et des agressions. »
Le site a perdu beaucoup de son intérêt touristique depuis que tout est bétonné et l’eau contaminée. « Un autre des problèmes auxquels nous avons dû faire face durant ces dernières années, continue Analcy, est le rejet des déchets urbains directement dans le lac. Santa Rosa n’a pas de système de récupération des déchets, ni de traitement des eaux usées, et bien que nous ayons lancé de nombreuses campagnes de sensibilisation dans le voisinage, les gens continuent de tout jeter dans le lac. Les courants du lac, qui remontent de l’embouchure du Rio Catatumbo jusqu’à l’entrée du lac, portent jusqu’ici les déchets produits tout le long de la côte. Tout arrive ici. »
Le patrimoine naturel de Santa Rosa compte aussi une grande forêt de mangrove, la Punta Capitán Chico, qui est actuellement le seul poumon vert de la ville de Maracaibo. « La forêt est soumise à une forte pression, entre la contamination directe due aux émissions du complexe pétrochimique et l’accumulation de déchets, plastique, boîtes de conserve, rejet des égouts à ciel ouvert… »
- Radio communautaire au Centre d’éducation populaire Jesus Rosario Ortega – Santa Rosa de Agua
- Fe. La.
Reconnus sur le papier,
ignorés dans la pratique
En 1999, la Constitution vénézuélienne reconnaît pour la première fois les droits des populations autochtones, marquant un important progrès culturel dans l’histoire du pays. Malgré cela, une grande partie de ces peuples vit encore aujourd’hui dans des conditions de grande marginalité sociale et économique. La dégradation croissante de leur cadre de vie et l’échec de la démarcation de leurs terres ancestrales sont en général les principaux problèmes auxquels ils doivent faire face.
Les populations autochtones Añú, Wayuú, Yukpa et Barí, qui vivent sur la langue de terre se trouvant entre la Colombie et la côte occidentale du lac de Maracaibo, souffrent plus que les autres des pressions dues à la pollution et aux intérêts économiques liés à la présence de ressources stratégiques. S’ils se trouvent aujourd’hui dans une des phases les plus critiques de leur histoire, ils ont tout de même, bien plus qu’auparavant, la possibilité de se faire entendre et de faire reconnaître leurs droits constitutionnels.
Nieves López Izquierdo est architecte et géographe. Federico Labanti est photographe et ethnologue.
Cet article a été traduit de l’italien.
Remerciements :
Ce reportage a été réalisé grâce à la collaboration de spécialistes qui, durant le mois d’août 2010, nous ont guidé, conseillé et fournit des informations et documents précieux. A eux tous vont nos sincères remerciements : Nicanor Cifuentes e Ángel Oroño (Universidad Bolivariana de Venezuela, Maracaibo) ; Lusbi Portillo e Elpidio González (Sociedad Homo et Natura) ; Deysi Cure (Gobernación del Zulia, Dir. Estadística e Información) ; Ingrid Muñoz (Instituto para la conservación del Lago de Maracaibo) ; Johel Salas (Instituto Zuliano de estudios frontalizos) ; Ofelia del Pino (Gobernación del Zulia, Sec. Ambiente, Tierras y Ordenación del Territorio) ; Pilar Conada (Instituto Geográfico de Venezuela) ; Giovanny Villalobos e Analci Rodríguez (Centro de Educación Popular de Maracaibo) ; José Gregorio González (Biblioteca Pública del Zulia).
Cet article a été traduit de l’italien.
Remerciements :
Ce reportage a été réalisé grâce à la collaboration de spécialistes qui, durant le mois d’août 2010, nous ont guidé, conseillé et fournit des informations et documents précieux. A eux tous vont nos sincères remerciements : Nicanor Cifuentes e Ángel Oroño (Universidad Bolivariana de Venezuela, Maracaibo) ; Lusbi Portillo e Elpidio González (Sociedad Homo et Natura) ; Deysi Cure (Gobernación del Zulia, Dir. Estadística e Información) ; Ingrid Muñoz (Instituto para la conservación del Lago de Maracaibo) ; Johel Salas (Instituto Zuliano de estudios frontalizos) ; Ofelia del Pino (Gobernación del Zulia, Sec. Ambiente, Tierras y Ordenación del Territorio) ; Pilar Conada (Instituto Geográfico de Venezuela) ; Giovanny Villalobos e Analci Rodríguez (Centro de Educación Popular de Maracaibo) ; José Gregorio González (Biblioteca Pública del Zulia).
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