« Quelqu'un sait-il si le niveau de radioactivité est élevé près de la gare de Shingoshigaya ? Mes parents habitent à côté... » La détection récente de zones à forte radioactivité dans plusieurs villes du Japon entraîne une psychose qui force les autorités nippones à réagir et les industriels et prestataires de services à imaginer de nouveaux appareils et services.
Depuis l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima déclenché le 11 mars par le séisme et le tsunami qui ont ravagé le nord-est de l'archipel, des particules radioactives se sont dispersées dans la région, avec des concentrations très variables. En certains endroits pourtant éloignés de dizaines de kilomètres du site, elle atteint plusieurs microsieverts ou dizaines de microsieverts par heure, contre moins de 0,20 en temps normal.
« Le vent et la pluie ont transporté les éléments radioactifs. Cela dépend des lieux où les précipitations sont tombées. Des endroits relativement proches ont été épargnés et d'autres contaminés bien que très distants de la centrale », explique le professeur Tatsuhiko Kodama, spécialiste des effets de la radioactivité.
Alors que les mesures terrestres et aériennes effectuées par les autorités montrent les grandes zones de contamination, elles ne révèlent pas des « points chauds » extrêmement localisés, lesquels ont généralement été décelés par des particuliers. De plus en plus de Japonais se dotent en effet de dosimètres (compteurs Geiger), grâce au développement de modèles simples à bas prix. Beaucoup de sociétés proposent désormais des appareils au mode d'emploi aisé censés répondre aux besoins basiques des familles, à commencer par celles résidant dans la préfecture de Fukushima.
« La précision des petits appareils de poche est sujette à caution pour les faibles niveaux, mais ils permettent néanmoins de repérer des lieux où les niveaux sont anormalement élevés », explique Tomohisa Kume, chercheur d'Idea Consultant, société mandatée par des entreprises et municipalités pour effectuer des contrôles.
La firme nippone S.T, qui conçoit habituellement des produits d'entretien et hygiéniques, fut parmi les premières à se démener pour produire un premier dosimètre à très bas prix (moins de 100 euros), baptisé Air Counter, qui ressemble un peu à un « Tamagochi ». Le produit, accompagné d'un livret écrit pour public de profanes en matière de rayonnements ionisants, notamment des mères de famille, a d'abord été vendu dans la province de Fukushima et sur internet. Désormais, on le trouve même dans des supermarchés du centre de Tokyo, dont le Daimaru du quartier de Hamacho.
S.T s'apprête en outre à mettre sur le marché un deuxième modèle, encore moins cher (environ 80 euros) en forme de thermomètre corporel, cette fois, et livré à 100 000 exemplaires au départ. Le groupe a également adjoint depuis ce mois-ci à sa gamme un service internet spécial permettant aux utilisateurs de poster les résultats géolocalisés de leurs mesures afin de constituer une carte, le tout en utilisant leur téléphone portable doté d'un module GPS. Ils peuvent en outre accompagner leur rapport de commentaires et de photos.
La société Nihon Seimitsu Sokki (Nissei), qui fabrique quant à elle entre autres des tensiomètres et appareils de mesure du rythme cardiaque, va elle aussi proposer en février un nouveau dosimètre, plus précis mais aussi plus cher (400 euros environ) tout en restant à la portée de particuliers.
Le spécialiste des stylos, Sailor, a lui de même conçu avec des universitaires un dosimètre qui non seulement peut mesurer le débit de dose dans l'air mais mémorise aussi le cumul d'irradiation externe de son porteur. Cet instrument, surtout destiné aux personnes vivant dans des zones où la radioactivité ambiante est reconnue comme étant supérieure à la normale (ce qui est notamment la cas dans la ville de Fukushima, à 70 kilomètres du complexe atomique), où l'on mesure 1 microsievert par heure, contre 0,08 environ à Tokyo.
D'autres sociétés, qui avaient déjà une expérience dans le domaine se sont également mobilisées comme System Talks, avec un dosimètre de poche à 200 euros, ou Jujo Electronics, qui vise davantage des entreprises. Il existe aussi des modèles dotés d'un récepteur de localisation GPS et qui permettent de conserver des données cartographiques en transférant les relevés sur un ordinateur par prise USB.
La firme Sanwa a pour sa part commencé de proposer une sonde de mesure de radioactivité à connecter à un téléphone multifonctionnel de type iPhone d'Apple. Ce périphérique (vendu moins de 100 euros) se relie à l'iPhone sur l'écran duquel s'affiche le résultat des mesures, via une application spécifique. Ce produit a été développé grâce à l'initiative d'un jeune chercheur désireux de proposer des "compteurs Geiger" simples d'emploi et bon marché à ses concitoyens. Il a travaillé comme pour le développement de logiciels « open source » en réunissant les compétences de bénévoles puis in fine de la firme Sanwa. « Immédiatement après cette catastrophe déclenchée par le violent séisme et le tsunami du 11 mars dans le nord-est de l'archipel, les compteurs Geiger les moins chers coûtaient au bas mot 600 euros et étaient difficiles à trouver », explique sur son site Takuma Mori. Le produit est vendu via un site internet spécial. L'auteur de ces lignes en a commandé un il y a deux mois, mais ne l'a jamais reçu, ce qui saccage un peu cette généreuse initiative. Heureusement, le paiement était prévu à réception.
Plusieurs collectivités locales proposent en outre des prêts gratuits de compteurs Geiger pour les personnes qui veulent juste effectuer une mesure dans leur jardin ou les lieux qu'elles fréquentent souvent. Généralement, il faut réserver des mois avant d'obtenir l'engin tant les demandes sont nombreuses. Enfin, la société de sécurité privée Alsok lancera mi-février pour les particuliers un service de mesures de radioactivité, d'abord à Tokyo et dans les préfectures alentours. Pour trois points dans une maison et à l'extérieur, la prestation sera facturée 30 euros environ.
« Le fait que les citoyens aient eux-mêmes découvert des points chauds de radioactivité grâce à la possession de compteurs Geiger individuels force les municipalités à prendre des mesures particulières afin de rassurer les habitants », confirme So Kasahara, responsable des lieux de verdure de l'arrondissement de Setagaya à Tokyo. Ici ont été passés au crible les bacs à sable où s'amusent les enfants ainsi que quelques points à proximité d'arbres, à des hauteurs de 5 centimètres, 50 cm et 1 mètre. Les résultats sont présentés sur le site internet de l'arrondissement le lendemain de chaque journée de mesures. La mairie de Setagaya a été plus que tout autre poussée à prendre des dispositions particulières, après avoir fait la une des journaux nationaux à cause de la détection de points présentant une radioactivité ahurissante, de plus de 100 voire 150 microsieverts par heure.
Au grand soulagement des autorités locales et nationales, elle était due à des fioles de radium 226 abandonnées sous le plancher d'une maison ou enterrée sous l'asphalte depuis des années. Cette substance était autrefois utilisée pour la fabrication de peintures phosphorescentes ou autres produits chimiques.
A Kashiwa, dans la préfecture voisine de Chiba, à quelque 200 km de Fukushima, les près de 60 microsieverts par heure détectés en un lieu très cerné étaient quant à eux bien dus à des rejets du complexe atomique. Cette extrême hétérogénéité de la dispersion de césium 134 et 137, comme la difficulté de localiser tous les points fortement radioactifs, est un des facteurs d'angoisse s'ajoutant à celui du risque d'absorption de nourriture contaminée, puisqu'il est techniquement impossible de la contrôler en intégralité.
C'est à Kashiwa justement qu'a été mis en place le premier « Bekumiru » (voir les becquerels), un lieu où les particuliers peuvent venir mesurer la radioactivité de la terre de leur jardin, de légumes ou riz cultivés ou achetés, ou de divers aliments et boissons. Les tests se font sur rendez-vous, le matin pour le jour-même ou le lendemain. En une demi-heure, tous les créneaux sont pris. Il suffit de placer un échantillon dans un récipient que l'on introduit ensuite dans un appareil muni d'un capteur, puis d'appuyer sur le bouton « start » d'un instrument qui ressemble à une caisse enregistreuse. Vingt minutes plus tard, le résultat s'affiche. Le coût d'une consultation varie de 9 à 37 euros. Un document placé à côté de chaque machine renseigne sur les limites légales de becquerels par kilogramme pour les légumes, condiments et autres matières les plus courantes. Face au succès rencontré, Bekumiru a ouvert un deuxième point de présence à Tokyo et fait des émules dans le reste du Japon. « Il faudra surveiller les aliments pendant des années », prévient le professeur Kodama.
Volant au secours des autorités locales, des groupes comme Toshiba, Hitachi ou NEC ont également mis les bouchées doubles pour concevoir de nouveaux dispositifs plus efficaces pour mesurer un maximum de lieux en un minimum de temps et en informer le public. Toshiba a par exemple mis au point une caméra portable sensible aux rayonnements et qui permet de réaliser des mesures sur de longues distances pour détecter les foyers à haut niveau (hot-spots). La couleur affichée sur l'écran relié à la caméra change en fonction des doses. L'appareil, qui vaut 20 millions de yens (200 000 euros) devrait être proposé aux municipalités en location avec le personnel et la prestation de mesure pour 5 000 euros par jour. Hitachi pousse pour sa part le développement de semi-conducteurs sensibles aux rayonnements, type de composants qui a justement permis de fabriquer des compteurs à moindres coûts.
Quant à NEC, il a imaginé un système qui associe des dosimètres installés dans des points fixes (écoles, jardins, hôpitaux, etc.) qui transmettent en temps réel leurs relevés via un réseau cellulaire de troisième génération (3G) à un serveur central auquel il est possible d'accéder depuis des ordinateurs ou téléphones portables.
La firme Ubiteq, elle, a conçu un outil de recueil de mesures à partir d'un véhicule équipé d'un système de localisation GPS couplé à des sondes pour tracer des cartes consultables sur internet, via un service d'informatique mutualisée en nuages (« cloud computing »). Des localités ont eu l'idée d'utiliser ce système avec leurs bus municipaux pour effectuer des relevés.
D'autres, comme l'entreprise Kaine, ont installé des compteurs Geiger accompagnés de grands écrans et alimentés par un panneau solaire et une batterie, installations qui affichent en temps réel 24 heures sur 24 la mesure dans des lieux publics pour que « la radioactivité devienne visible ».
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