Par http://www.monde-diplomatique.fr jeudi 29 mars 2012
Quelques semaines après la parution d’une enquête consacrée à la collusion entre économistes et institutions financières privées dans les colonnes du Monde diplomatique, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) vient d’adopter une nouvelle charte déontologique. L’organisation — un centre de prévision, de recherche et d’évaluation des politiques publiques créé au sein de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) — exigera désormais de ses collaborateurs qu’ils révèlent leurs conflits d’intérêts. « Un expert peut-il, “en toute indépendance”, prôner la dérégulation financière quand il occupe simultanément un poste d’administrateur dans un fonds d’investissements ? », interrogeait Le Monde diplomatique en mars 2012, après avoir observé que « nombre d’universitaires invités par les médias pour éclairer le débat public (...) sont rétribués par des banques ou de grandes entreprises ». Le 3 janvier dernier, la prestigieuse Association américaine d’économie (American Economic Association, AEA) avaient déjà annoncé des mesures, annonçant qu’elle exigerait dorénavant de ses auteurs qu’ils identifient « les “parties intéressées” (1) leur ayant versé une rémunération financière importante, c’est-à-dire d’un montant total supérieur ou égal à 10 000 dollars [environ 7 600 euros] au cours des trois dernières années ». Une décision à laquelle l’OFCE semble avoir été sensible. Désormais, indique le communiqué de l’OFCE (daté du 28 mars 2012), les auteurs proposant un article à l’organisation devront « faire état de toute somme perçue (salaire, honoraires, remboursements de frais) et de tout avantage en nature reçu au cours des trois années précédant la soumission d’un montant supérieur à 2000 euros provenant d’une partie intéressée à l’article soumis ». Mais les contributeurs devront également mentionner leurs « fonctions, rémunérées ou gracieuses, au sein d’organisations ou institutions privées ou publiques dont l’objet est en rapport avec le sujet de l’article soumis ». L’OFCE précise que « ces informations figureront le cas échéant sur la première page de l’article publié, à côté des affiliations académiques de l’auteur(e) ». Elle avertit : « Dans l’hypothèse où il apparaîtrait après coup qu’un(e) auteur(e) aurait failli à son devoir de transparence tel que défini ci‐dessus, la Revue de l’OFCE se réserve le droit de retirer l’article concerné et de rendre cette décision publique. » De telles dispositions rompent avec le fonctionnement routinier des principaux médias français, où les économistes Daniel et Elie Cohen, Jacques Mistral, Olivier Pastré ou Christian Saint-Etienne sont régulièrement identifiés par leurs seuls titres « universitaires », sans que soient évoquées leurs fonctions — éminentes — au sein d’entreprises directement impliquées dans la dynamique économique et financière dont ils se disent les observateurs neutres. On attend donc l’annonce de décisions similaires de la part des deux associations françaises d’économistes (l’Association française de sciences économiques [AFSE] et l’Association française d’économie politique [AFEP]), du Centre d’observation économique et de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Coe-Rexecode, proche du patronat français), sans parler des directions éditoriales des grands médias français — à commencer par les chaînes de télévision et les radios de service public. Le Monde diplomatique ne manquera pas de suivre les avancées de leurs réflexions dans ce domaine. Réagissant aux critiques dont font l’objet les « économistes à gage » depuis, notamment (2), que Jean Gadrey a exposé les données du problème sur son blog le 21 septembre 2009, M. Jean-Hervé Lorenzi – conseiller du candidat du parti socialiste à la présidentielle, M. François Hollande, et invité régulier de France Inter, de LCI et des grands quotidiens – s’insurge contre des « dénonciations publiques au pire sens du terme, celui des feuilles de choux des années trente où se trouvent mêlés inexactitudes, vérités tronquées, amalgames et sous entendus bien peu ragoûtants ». Selon lui, « c’est le fait d’être modérés que l’on nous reproche, d’accepter la rigueur, de tenter, selon nos sensibilités à chacun, de rester proche d’un keynésianisme régulé. (...) Cela suffit, sans doute, pour faire de nous des agents du Grand Capital ». M. Lorenzi est administrateur de PagesJaunes, d’Associés en finance, de l’Association française des opérateurs mobiles (Afom), de BNP Paribas-Assurance. Il est par ailleurs censeur d’Euler-Hermes, membre des conseils de surveillance de la Compagnie financière Saint-Honoré, de BVA, du Groupe Ginger et conseiller du directoire de la Compagnie financière Edmond de Rothschild Banque. Le 16 février 2012, dans Les Echos, il co-signait avec M. Patrick Artus – responsable de la recherche de la banque Natixis – une tribune intitulée « Réconcilier la finance et la société ». Déplorant que « les opinions publiques, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, dans la zone euro, ont une vision extrêmement négative de la finance et des banques », les auteurs expliquaient (en partie) ce sentiment par un « défaut d’information et des biais d’analyse ». Un peu plus tôt, dans un livre intitulé Droite contre gauche ? Les grands dossiers qui feront l’élection présidentielle (Fayard, 2012), M. Lorenzi et son co-auteur Olivier Pastré (président de la banque tunisienne ImBank) invitaient leurs lecteurs à « renoncer aux illusions sur l’Etat protecteur », à « faire enfin le pari audacieux en faveur du marché » et, surtout, à éviter de « porter des jugements trop hâtifs » sur l’industrie bancaire. Dans l’entretien qu’il accorde au site slate.fr, M. Lorenzi met ses détracteurs au défi « de trouver dans mes interventions écrites et orales de ces dernières années, le moindre mot qui pourrait faire apparaître un conflit d’intérêt »...
(1) Les « parties intéressées » sont définies comme « tout individu, groupe ou organisation concerné, financièrement, idéologiquement ou politiquement par le contenu de l’article ».
(2) On citera également l’enquête de François Ruffin, dans le cadre de l’émission « Là-bas si j’y suis » (France Inter, 2 et 3 janvier 2012) et le documentaire Les Nouveaux chiens de garde (Jem Productions, 2012).
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