http://www.la-rumeur.com
https://www.myspace.com/larumeurofficiel
Origine du Groupe : France
Style : Hip Hop , Rap
Sortie : 2012
Par Thomas
Blondau pour http://www.lesinrocks.com
Modèle d’intégrité et d’intransigeance dans le rap français, La Rumeur devient ardent sur un quatrième album pessimiste et abouti. Critique et écoute.
Les rappeurs ne sont jamais aussi intéressants que lorsqu’ils touchent l’intime. Lorsque l’egotrip ou la vindicte politique s’affaissent sous le poids de visions personnelles qui impriment à ces
deux aspects fondamentaux du rap quelque chose de singulier. Formé il y a quinze ans par Philippe, Ekoué, Mourad et Hamé, La Rumeur a souvent cheminé en ce sens mais n’a pas toujours atteint ce
but avec clarté. Les livraisons de ces enfants d’immigrés, qui témoignent de la complexité de parcours issus de l’exil, ont parfois emprunté des chemins textuels escarpés qui en ont rendu le
décodage fastidieux.
En dépit d’une discographie sans tache et d’une poignée de chefs-d’œuvre qui transpirent la sensibilité des auteurs (Blessé dans mon ego, où Ekoué évoque sa double identité et raille son “statut
de paria ici, et d’intrus en cance-va au bled”…), le groupe s’est parfois exprimé avec une forme de distance descriptive, un didactisme martial qui lui a conféré une aura de crew politique,
compétent et pertinent, mais finalement froid. C’est ici que Tout brûle déjà marque un mouvement.
En 2012, le fond demeure mais la distance se réduit, projetant les rappeurs au centre de leurs écrits, charriant dans un même flot désordres intimes et désordres sociétaux : “Jusqu’ici, j’étais
très collectif dans mon écriture, analyse Hamé. Aujourd’hui, on est plus dans le ‘je’ que dans cette représentation du ‘nous’.” Une écriture transversale esquissée en 2007 sur Du coeur à
l’outrage mais qui révèle ici son éclat. Sur La Périphérie au centre, sur les émotions d’un banlieusard en centre-ville, ou sur le cafardeux Un soir comme un autre, La Rumeur ne raconte pas la
police, le racisme ou l’histoire, mais cristallise ces matières dans un va-et-vient entre l’intime et le général. “Les approches thématiques du colonialisme ou des crimes policiers, on s’en est
occupé, peut-être parfois de façon un peu universitaire, constate Hamé. On n’éprouve plus le besoin d’y revenir de manière cloisonnée. Mais ce sont des choses qui participent à notre lecture du
monde et ressortent au milieu de considérations plus personnelles.”
Cette orientation doit beaucoup au chemin parcouru. Depuis le précédent album, certains membres sont devenus parents, ont terminé leurs études ou développé des activités hors du rap. Un quotidien
dont le disque s’est nourri, que l’on retrouve à travers un vocabulaire plus usuel, moins clinique, et des sujets nouveaux. Dans Tous ces mômes vont grandir, Hamé s’appuie sur ses préoccupations
de jeune père pour dessiner une vision de l’avenir : “C’est une nouvelle anxiété que l’on +
découvre depuis peu, détaille Hamé. C’est aussi la perspective de ce que sera la France dans quinze ans.” Tout brûle déjà est aussi le premier disque enregistré sans pression judiciaire : de 2002
à 2010, le groupe a en effet vécu au centre d’une procédure qui l’opposait à Nicolas Sarkozy, suite à la publication par Hamé d’un article faisant état de crimes policiers passés sous silence par
son ministère. Au terme de huit ans de citations, d’appels et de cassations, l’affaire s’est soldée par la relaxe de l’auteur mais a pesé sur le groupe : “On était au front, se souvient Hamé.
Nous avions intégré le procès à un degré qui confine à la banalité. C’était devenu un compagnon qui nous suivait de rendez-vous en rendez-vous, d’audience en audience.” L’incertitude aurait pu
hypothéquer la carrière mais l’a en fait solidifiée : “Ça a été un de nos principaux ressorts : nous avons redoublé d’attention, défini notre stratégie, créé notre label, produit deux
albums…”
Depuis, le groupe fourmille de projets : écriture et tournage de De l’encre, diffusé sur Canal+, enregistrement de Nord Sud Est Ouest 2 d’Ekoué et Philippe, réalisation de Ce chemin devant moi,
un court métrage de Hamé, en compétition au Festival de Cannes. Et ce nouvel album, dont la colère se nourrit d’une vision animale du mix, prêtant le flanc à un rap physique et arrogant qui sue
sur les breaks, qui fait corps avec la musique, à l’image du pugilat sonique du morceau-titre. “On a toujours évité ce rap dit conscient qui considère que seul compte le texte et que
musicalement, on peut se contenter d’un truc vintage, voire has been, détaille Philippe. Le rap, c’est pas que du texte, sinon on écrirait des bouquins.”
Tout brûle déjà offre une définition aboutie, mature, de ce qu’est La Rumeur : ni un peloton d’universitaires penchés sur leur histoire, ni un groupuscule militant, ni une cellule poétique
traditionnelle. Plutôt un crew inscrit dans son époque, évitant les diatribes trop génériques pour leur préférer la politique telle qu’on la vit intimement : “Tout brûle déjà, c’est pessimiste
comme titre, mais c’est ainsi qu’on ressent les choses. Nous sommes par exemple préoccupés par la manière dont le discours raciste s’est décomplexé. Il n’y a plus de garde-fous, ça vient parfois
des plus hauts sommets de l’Etat et ça ne fait pas tellement d’éclaboussures. Tout brûle déjà… On a l’impression qu’il n’y a plus grand-chose à sauver”, termine Ekoué.
Tracklist :
01. Interdit D'acces
02. Hors Sujet
03. Affaire A Suivre
04. La Peripherie Au Centre
05. Un Soir Comme Un Autre
06. Tout Brule Deja
07. Le Chemin Est Long
08. Tous Ces Momes Vont Grandir
09. Quand Je Marche Tu Cours
10. P'tite Laura
11. Sans Faire De Bruit
12. Hommage A La Marge
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