samedi 6 février 2010, par Philippe Leymarie
« Pour la première fois, l’US Air force va former cette année plus d’opérateurs de drones que de pilotes de chasse », reconnaît le général Norton A. Schwartz, chef d’état-major de l’armée de l’air américaine. Et, dans le budget 2010-11 de la défense, 2,7 milliards de dollars sont provisionnés pour assurer un doublement du nombre des drones militaires...
Dans un papier au titre inspiré — « Obama dances with the drones » — Stewen Wassman expliquait, dès avril 2009, que le président Barack Obama avait décidé d’intensifier les raids punitifs sur les zones tribales du nord-ouest du Pakistan, quelles qu’en soient les retombées politiques, pour tenter de décapiter le commandement de la mouvance Al Qaida et de ses alliés talibans.
Depuis, une noria de drones vole au dessus de « l’Afpak ». Et, ces dernières semaines, les dépêches se sont emballées : « Au Pakistan, la guerre secrète américaine au dessus des zones tribales… Nouvelle frappe meurtrière de drones… Intensification des tirs de missiles... ». Une des plus récentes, le 3 février dernier, relatait une attaque massive, les drones opérant pour la première fois « en meute » : « Des témoins et des responsables administratifs ou militaires disent avoir compté jusqu’à dix de ces appareils sans pilote et l’explosion d’au moins dix-huit missiles, dans cette attaque concentrée près d’une heure durant sur des grottes et des camps d’entraînement d’insurgés dans les environs de Dattakhel, une zone extrêmement reculée et montagneuse du district tribal du Waziristan du Nord, frontalier avec l’Afghanistan ».
Dans la clandestinité
C’est la CIA, l’agence de services secrets, qui gère dans la clandestinité les frappes de drones visant des talibans et Al-Qaida au dessus du Pakistan. L’existence de ce programme n’est pas reconnue officiellement par l’administration américaine, qui donne seulement les noms des quelques chefs rebelles présumés éliminés. Récemment, Paul Gimigliano, porte-parole de la CIA, s’est à nouveau refusé à commenter ces raids de drones, se contentant d’indiquer que « les opérations de contre-terrorisme de l’Agence — légales, offensives, ciblées et efficaces — se poursuivraient sans marquer de pause ».
Des sources proches de la direction de la CIA ont démenti que l’intensification des frappes ces dernières semaines soit une « vengeance », après l’attentat qui a partiellement détruit fin décembre la base secrète « Chapman » de la CIA, à Khost, provoquant la mort de plusieurs cadres de l’agence impliqués dans la programmation de ces raids de drones. Leur efficacité est cependant discutée : selon une évaluation très approximative, la petite centaine de raids menés depuis 2008 aurait bien permis l’élimination d’une vingtaine de dirigeants rebelles, mais coûté la vie également à plus de sept cents civils.
Dans une tribune du New York Times, en mai dernier, David Kilcullen, spécialiste de contre-insurrection et conseiller du général David Petraeus au moment où ce dernier était en Irak, ainsi qu’un ancien officier de l’armée américaine, Andrew Exum, avaient pourtant mis en garde contre un usage abusif des drones, sans pour autant renier les avantages qu’ils offrent : « Chaque mort d’un non-combattant représente une famille hostile, un nouveau désir de revanche et plus de recrues pour un mouvement qui s’est développé de manière exponentielle, alors que les frappes par drones augmentaient ».
Nimbé de secret
En privé, la CIA estime que la frappe via les drones est actuellement l’arme-miracle contre Al Qaida, pour reprendre le mot de Tom Engelhardt et Nick Turse. Les vertus « antiseptiques » (pour les assaillants) de ce mode d’action , ainsi que leur haut degré de technicité, le tout nimbé par le secret, ont pu faire oublier que, « pour la première fois dans l’histoire », comme l’analyse un commentateur, « une agence civile de renseignements recourt à des robots pour remplir une mission de type militaire, sélectionnant des personnes à tuer dans un pays avec lequel les Etats-Unis ne sont pas officiellement en guerre ».
Sebastian Abbot, de Canadian Press, explique qu’en tout cas, le silence américain est de plus en plus critiqué, y compris aux Etats-Unis, et soulève aussi des questions sur la conformité de cette politique avec le droit international. Il cite, à l’appui de ses affirmations :
— Philip Alston, un enquêteur de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires : « Quand on a le genre d’attaques (de drones) que l’on a vu au cours des derniers jours en réponse à l’attentat de Khost, les suspicions commencent à monter » sur la volonté de limiter les pertes civiles.
— Paul Pillar, ancien responsable du contre-terrorisme à la CIA, pour qui « la principale inquiétude (...) est que l’on ne sait pas sur quels critères on décide dans chaque cas d’appuyer sur la détente ou pas » ;
— Roger Cressey, ancien responsable du contre-terrorisme dans les administrations Bush et Clinton : il assure que la décision de tirer un missile répond à une procédure « très sérieuse et méthodique » de la CIA, mais critique le silence de Washington, « qui laisse le champ libre aux allégations des talibans ».
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