Par Thomas Roussot (son site)
jeudi 26 janvier 2012
pour http://www.agoravox.fr/tribune-libre
Un génocide est censément l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales. Dès son apparition en 1944 dans le champ lexical, ce terme s’est voulu restrictif, son inventeur, Raphael Lemkin, entendait l’affecter à la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Le caractère ambivalent et hybride de ce concept n’allait pas tarder à révéler des failles et contradictions nombreuses.
L’article 2 de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies, le
9 décembre 1948, affirme :
« Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Dans les années 70, il allait s’étendre en France à la destruction d’un groupe humain quel qu’il soit, en peu de temps.
La racine grecque et latine du terme fait allusion aux principes de naissance, genre, espèce et massacre.
La destruction planifiée de groupes humains en fonction de critères politiques n’entre pas dans toutes les législations nationales comme une action assimilable à un génocide (cette acception fut adoptée en 1946 par l’ONU puis retirée sous la pression de l’URSS en 1948).
De ce fait, les 100 millions de morts liés au régime communiste n’ont que rarement pour ne pas dire jamais le droit à ce terme.
Il fut pourtant utilisé pour qualifier les massacres de masse en Argentine et au Chili.
Le droit français est le plus extensif de nos jours puisqu’il envisage toute destruction totale ou partielle de groupes humains à partir de tout critère arbitraire comme pouvant relever d’une telle dénomination. Selon l’approche pénale, historique ou philosophique, l’emploi de ce qualificatif ne recouvre pas les mêmes situations. Les instances internationales se bornent la plupart du temps à n’envisager l’application de ce concept que si les victimes sont agressées pour des raisons ethniques, nationales, religieuses ou raciales (cette dernière notion étant envisagée du point de vue des agresseurs).
D’étranges absences historiques demeurent quant à cette classification, du fait des conflits d’interprétation et surtout des rapports de force politiques.
Quid d’Hiroshima et Nagasaki ? N’y avait-t-il pas volonté de détruire des japonais de la part des USA ?
Quid des massacres religieux divers et variés provenant des trois monothéismes ?
La plupart du temps, la contestation concernant l’attribution de ce concept se greffe sur l’absence de coordination étatique pour accomplir un massacre de grande ampleur.
Il faut bien constater que les tribunaux créés pour évaluer la nature génocidaire de tel ou tel régime sont essentiellement formés par des puissances dominantes qui renâclent grandement à envisager les massacres commis au cours de leurs propres histoires respectives qui regorgent de divers crimes à grande échelle qui n’ont jamais motivé une telle dénomination :
· le massacre des
Cimbres par les Romains, vers
-100 ;
· le massacre des
Helvètes par les Romains, à la
bataille de Bibracte, en
-58, lors de leur tentative de migration vers la
Saintonge ;
· le massacre des
Gaulois par les Romains, durant la
guerre des Gaules : sur les sept millions d’habitants estimés de la Gaule, deux millions de Gaulois assassinés ou déportés (La Revue de l’Histoire no 51 p. 81) ;
· le 22 juillet 1209, le
Sac de Béziers : les troupes conjointes du pape
Innocent III et du
roi de France Philippe II massacrent toute la population de la ville de Béziers. Un prélude au bûcher de
Montségur le 16 mars 1244 et à l’
Inquisition ;
· le massacre des
Tainos[53],
[54] commis par les Européens durant la conquête de l’île d’
Hispaniola. Il restait environ 60 000 Tainos. En
1531, l’exploitation dans les mines d’or, les suicides et les maladies
[53] avaient réduit ce nombre à 600, soit une diminution de 99 %
[53] ;
· la
déportation des Acadiens par les
Britanniques sous les ordres du gouverneur
Charles Lawrence en
1755 ainsi que, parallèlement, le massacre de leurs alliés, les
Hurons. Dépossédées de leurs terres, des familles furent déportées dans des colonies britanniques, réduites au travail non rémunéré et, pour certaines d’entre elles déportées au
Royaume-Uni. Les conditions étaient telles que près de 50 % des Acadiens déportés moururent durant le transport ;
· le massacre des
Tasmaniens, qui a été qualifié de « génocide le plus parfait de l’histoire », par les Britanniques ;
· en
Australie, les
Aborigènes, dont la population est estimée à 350 000 avant l’installation des Britanniques
[Quand ?], furent décimés par les maladies infectieuses, les migrations forcées, à l’instar des
Amérindiens.
· eu
Canada, les enfants des Amérindiens furent envoyés, entre
1922 et
1984, dans des pensionnats (Écoles résidentielles) fondées par le gouvernement canadien, dirigées par des églises (
catholiques ou
protestantes), où étaient entretenues des conditions d’insalubrité, de violences de tout ordre comme la pédophilie ou encore d’expérimentations médicales (dans les dernières années, à partir de la
Guerre froide), ce qui conduisit à une mortalité de presque 50 %, soit donc environ 50 000 décès d’enfants en quelques décennies (sur les 120 000 pensionnaires y ayant séjourné) ;
· le gouverneur anglais
Jeffrey Amherst fit distribuer aux Indiens
Delaware en
1763 des couvertures infectées de petite vérole (
variole) ;
· En 1897, les premiers
camps de concentration furent expérimentés au cours de la
guerre d'indépendance de Cuba. Ils furent repris lors de la
Seconde Guerre des Boers en
Afrique du Sud par les Britanniques assistés des Canadiens. Sur environ 120 000 internés, plus de 27 000 civils
afrikaners (10 % de la population afrikaner des républiques boers), essentiellement des femmes, des vieillards et des enfants, près de 20 000 Noirs alliés à ces derniers, meurent dans ces camps, victimes des conditions de vie (alimentation insuffisante, absence d’hygiène et de soins) dénoncées à l’opinion internationale par
Emily Hobhouse ;
· les
Béothuks étaient des habitants indigènes de l’île de
Terre-Neuve au
Canada avant le contact anglais aux
XVe et
XVIe siècles. Le peuple a été officiellement déclaré éteint en tant que groupe ethnique distinct en
1829 avec le décès de Shanawdithit.
Les républicains français, via la Terreur, ont massacré le peuple vendéen entre 1793 et 1794 (visant bel et bien à exterminer ce peuple dans sa globalité comme l’indiquent les documents signés par Robespierre, Carnot et autres membres du Comité de salut public).
Destructions à grande échelle utilisant des « techniques » impliquant gaz, fours, tanneries de peaux humaines et fonte des corps. Bien avant le régime nazi.
Avant de faire la leçon à la Turquie, cet épisode de l’histoire de France devait inviter à la réflexion…
L’assemblée nationale ne semble guère motivée pour reconnaître la nature génocidaire de ce processus historique, et pour cause, il a été commis par leurs aïeuls.
Sans oublier le million de morts en Algérie. Mais là, on se contentera de parler de crimes de guerre…
Il paraît plus facile de condamner la Turquie que les massacres tibétains par la Chine…il faut croire que le vote tibétain quasi-inexistant dans l’hexagone explique un tel traitement différentiel.
Instrumentaliser l’histoire et faire voter une loi liberticide restreignant la liberté de recherche et de pensée pour séduire une frange de l’électorat, encore « un apport novateur » de ce gouvernement. Gayssot, le stalinien transpirant, avait posé la première pierre de cet édifice législatif illégitime et totalitaire sur un plan intellectuel. Des chercheurs, aussi courageux ou illuminés (selon les cas) soient-ils, n’ont pas à risquer de se retrouver en prison pour des idées. C’est déjà le cas dans ce pays dit de la liberté d’expression.
Alors que la recherche historique, n’en déplaise aux moralistes à la petite semaine, est faite de révisions successives, le politicien veut fixer dans le marbre des interprétations circonstancielles, inachevées et au final partiales, pour assurer une réélection. Et ce avec le support de sa prétendue opposition dite de gauche.
Bienvenue au pays des Droits de l’Homme.