Source : http://fukushima.over-blog.fr
14/10/2012
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Suite à la catastrophe de Fukushima, l’ASN a été chargée de réaliser des évaluations complémentaires de sûreté (ECS). Celles-ci ont débouché sur plus de 900 prescriptions qui devront être suivies dans les prochains mois ou les prochaines années. Des milliards d’euros de travaux en perspective pour l’exploitant, remettant en cause une énergie nucléaire bon marché. Dans l’article qui suit, Jean-Marc Royer analyse quelques prescriptions et met en lumière plusieurs incohérences ou arrangements qui ressemblent fortement aux errances commises par les Japonais, erreurs qui ont conduit à la catastrophe nucléaire que l’on connaît.
Alors que Tepco vient de reconnaître avoir volontairement minimisé le risque de tsunami, tout en sachant que la sécurité serait insuffisante en cas de séisme trop important, il est légitime de surveiller ce que disent aujourd’hui nos dirigeants, nos opérateurs et nos agences de sécurité ! Exemple, ces 30 directeurs de centrales nucléaires françaises qui publient une lettre ouverte pour dénoncer l’arrêt annoncé de la centrale de Fessenheim en 2016. Ne connaissent-ils pas la prescription de l’ASN demandant un radier sous le réacteur n°1 de Fessenheim avant le 30 juin 2013 ?
Décisions de l’ASN du 26 juin 2012 fixant à EDF des prescriptions applicables aux centrales
suite aux évaluations complémentaires de sûreté (ECS)
par Jean-Marc ROYER
Suite aux ECS publiés en janvier 2012 et dont nous avions fait un résumé et une analyse, l’ASN a édité une série de prescriptions s’appliquant à toutes les centrales nucléaires françaises. Comme il y avait un peu plus d’une trentaine de domaines ou chapitres concernés, leur déclinaison, adaptée à chaque centrale (26 au total) a donné un volume de plus de 900 prescriptions qui a « assommé » d’un gros volume relié les participants à la conférence de presse du 28 juin dernier qui n’en pouvaient mais. Ce qui est toujours un des buts visés : écraser le quidam sous un flot d’informations dans lesquelles il n’est pas apte à trier, ce qui fût exactement la même tactique que celle utilisée par Tepco dans les semaines qui suivirent la catastrophe. A ce niveau de répétition, c’est sans aucun doute possible une tactique mise au point au niveau international par le village nucléaire et leurs consultants en « com. ». Examinons de plus près quelques-unes de ces prescriptions propres à Belleville et au Tricastin [1]. Nous avons choisi d’étudier les prescriptions de ces centrales étant donné ce que nous écrivions suite à la synthèse du rapport de l’ASN de janvier 2012 :
L’ASN, faisant le constat que des « effets falaise » (effets cumulatifs) peuvent se produire très près des niveaux d’inondation retenus dans le « référentiel EDF », demande à l’exploitant de revoir toutes ses estimations (fournir le détail de la méthodologie et les justifications utilisées pour caractériser le modèle d’inondation retenue), de se prononcer lui-même sur l’adéquation des bâtiments à ces évaluations et lui prescrira de revoir sa copie concernant Belleville et Tricastin, notamment en cas de rupture des digues amont.
Concernant des « effets falaise » possibles suite à une inondation (perte totale de source froide et/ou des alimentations électriques), l’ASN pense que ni les rapports d’Evaluation Complémentaires de Sûreté, ni les compléments présentés par EDF en cours d’instruction, ne sont de nature à les éviter et lui demande de revoir là aussi ses copies (pages 122, 124, 128, 130, 137 et 139 du rapport de janvier 2012).
Centrale nucléaire de Belleville
Toutes les prescriptions débutent par rappeler la partie des ECS concernée (ECS-1, 2, 3) et le paragraphe, I, II, III…
(ECS-1) I « Avant le 30 juin 2012 les exploitants proposeront un noyau dur de dispositions matérielles et organisationnelles robustes visant, pour les situations extrêmes […] à :
a) prévenir un accident avec fusion du combustible ou en limiter la progression,
b) limiter les rejets radioactifs massifs,
c) permettre à l’exploitant d’assurer les missions qui lui incombent dans la gestion d’une crise. » […]
On constatera, une fois de plus, que l’ASN demande gentiment à EDF de bien vouloir envisager de limiter les effets de son choix mortifère en cas d’accident majeur et d’être en capacité de le gérer.
II et III Pour dimensionner ce noyau dur, « l'exploitant retient des marges significatives forfaitaires par rapport aux exigences applicables au 1er janvier 2012. […] L'exploitant justifie le cas échéant le recours à des systèmes, structures et composants (SSC) non diversifiés ou existants. » […]
Autrement dit, si EDF ne peut pas ou ne veut pas s’exécuter, il n’aura qu’à en fournir la justification, ce qui a tout de même quelques airs de ressemblance avec les petits arrangements que la commission indépendante du Japon à dénoncé dans son rapport page 16.
Tricastin (ECS-7) « Avant le 31 décembre 2012, l’exploitant justifiera auprès de l'ASN qu'il a mis en place une organisation et des ressources permettant de faire face à l'isolement du site en cas d'inondation. »
Tricastin (ECS-11) « Avant le 31 décembre 2013, l'exploitant remettra à l'ASN une étude indiquant le niveau de robustesse au séisme des digues et autres ouvrages de protection des installations contre l’inondation et présentant selon ce niveau de robustesse : les conséquences d'une défaillance de ces ouvrages » […]
Voici comment nous résumions le rapport de l’ASN de janvier 2012 :
La Règle Particulière de Conduite est déclinée avec des retards de plusieurs années, avec des « écarts » et de manière incomplète ou incohérente, en contradiction avec le Plan d’Urgence Interne ou sans convention d’alerte avec Météo France ; certains « retours d’expérience » ne sont pas renseignés, le ruban bleu revenant aux sites de Cruas et du Tricastin qui n’ont toujours pas intégré qu’ils pouvaient être isolés par une inondation et même, pour ce dernier site, en perdre son alimentation électrique. Et ce qu’écrivait l’ASN à ce sujet :
« Les exploitants du site du Tricastin auraient des difficultés à gérer une situation accidentelle consécutive à un séisme majeur, du fait de la perte des alimentations électriques, des moyens de communication, de la supervision de l'installation ou encore du non dimensionnement au séisme de locaux annexes, des locaux de crise ou de repli, et des locaux abritant les moyens et les hommes de la Formation Locale de Sécurité » (page 67 du rapport de janvier 2012).
Centrale nucléaire du Tricastin (2 juillet 2011)
(ECS 19) I « Avant le 31 décembre 2016, l'exploitant met en place dans le puits de cuve des moyens redondants permettant de détecter le percement de la cuve et dans l'enceinte des moyens redondants permettant de détecter la présence d'hydrogène. Une instrumentation permet de signaler en salle de commande le percement de la cuve par le corium. » […]
Où l’on constate surtout que rien de ce type n’avait été prévu en cas d’accident grave ! Quel aveu de taille. Et lorsqu’EDF menace de doubler les tarifs en guise de réplique politique à ces recommandations, quel culot ! Mais comme pour la piscine N°4 de Fukushima, faudra-t-il aller déposer un cierge chaque jour pendant des années en attendant que les travaux soient réalisés ? Et d’ailleurs, la similitude ne s’arrête pas là :
(ECS-20) I. Avant le 30 juin 2012, l'exploitant présentera à l'ASN les modifications à apporter permettant de mesurer d'une part l'état de la piscine d'entreposage du combustible (température et niveau d'eau de la piscine de désactivation) et d'autre part l'ambiance radiologique du hall du bâtiment combustible. […]
II. Dans l’attente de leur mise en œuvre, au plus tard le 31 décembre 2012, l'exploitant met à disposition de son organisation nationale de crise des abaques donnant, en fonction de la puissance résiduelle du combustible entreposé dans la piscine de désactivation, les délais d’atteinte de l’ébullition en cas de perte totale du refroidissement. […]
Prescription qui, venant de l’ASN, constitue la meilleure preuve des dangers que la piscine N°4 de Fukushima fait courir au peuple japonais et à ceux du monde entier.
(ECS-5) Au plus tard le 30 juin 2012, l’exploitant réalise les remises en conformité de la protection volumétrique mentionnées dans la note D4550.31-12/1367- Indice 0. L’exploitant met en œuvre l'organisation et les ressources telles que décrites dans le document D4550.31-06/1840 indice 0 du 12/10/2007 susvisé pour s'assurer que la protection volumétrique conserve dans le temps l'efficacité qui lui est attribuée dans la démonstration de sûreté. […]
Ce qui revient à dire qu’une prescription de 2007 n’est toujours pas entrée dans les faits ! Voici ce que nous avions écrit à ce sujet :
Par ailleurs, l’ASN se plaint de ce que les échéances convenues pour effectuer des travaux à la suite de « l’évènement du Blayais » [1999] ne soient pas respectées sans qu’aucune mesure compensatoire n’ait été prise (pages 25 à 32).
(ECS-8) « Avant le 30 septembre 2012, l'exploitant vérifiera la conformité de ses installations vis-à-vis des dispositions de la règle fondamentale de sûreté I.3.b dont l'application est prévue par le rapport de sûreté. » […]
Voici ce que nous en disions dans la synthèse :
Un constat : la règle en vigueur (FS I.3.b) n’est pas respectée, l’instrumentation est insuffisante ou mal positionnée, son entretien et sa maintenance laissent à désirer, de même que sa qualification, son étalonnage et son réglage. De plus, les exercices ne sont pas réalisés et les opérateurs ne savent pas utiliser cette instrumentation sismique ou en interpréter les données en salle de commande ce qui les mettrait dans l’impossibilité de se faire une idée juste sur l’état du réacteur [en cas d’accident grave dû à un séisme hors dimensionnement] (page 40).
(ECS-29) « Avant le 31 décembre 2013, l'exploitant remettra à l'ASN une étude détaillée sur les possibilités d'amélioration du dispositif d'éventage filtration U5 » […]
Système de filtrage d’urgence dont on peut se demander s’il n’aggraverait pas la situation en cas d’Accident grave (AG) et dont nous écrivions :
L’ASN va prescrire à EDF d’intégrer dans le « noyau dur » les éléments indispensables à la gestion de crise, c'est-à-dire :
[…] L’accessibilité, l’opérabilité, l’habitabilité des salles de commande en cas de rejets de substances dangereuses ou radioactives (184), notamment après ouverture du système de filtration U5, lequel pose une série de problèmes non résolus à ce jour. En effet :
. il n’est pas « robuste aux séismes majeurs » ;
. il ne peut être utilisé pendant les premières 24h suivant un AG pour éviter le rejet des aérosols ;
. par la condensation ou la présence d’oxygène dans sa tuyauterie, il induit des risques de déflagration de l’Hydrogène ;
. son ouverture oblige les personnels à évacuer les salles de commande dans les 24h suivantes ;
. son efficacité de filtrage laisse à désirer, surtout s’il est utilisé par deux réacteurs simultanément (pp 184 à 207).
Puis viennent toute une série de prescriptions qui pourraient être regroupées sous le même chapitre et qui découlent du fait que depuis la conception, la possibilité d’un accident majeur n'a jamais été prise en compte :
(ECS-16) I. « Avant le 31 décembre 2012, l'exploitant présentera à l'ASN les modifications en vue d'installer des dispositifs techniques de secours permettant d’évacuer durablement la puissance résiduelle du réacteur et de la piscine d’entreposage des combustibles en cas de perte de la source froide. » […]
II. Avant le 31 décembre 2012, l'exploitant présentera à l'ASN les modifications qu'il envisage en vue de l'installation, avant le 30 juin 2013 sauf justification particulière, de dispositifs assurant l'injection d'eau borée dans le cœur du réacteur en cas de perte totale d'alimentation électrique du site lorsque le circuit primaire est ouvert. […]
(ECS-18) I. « Avant le 30 juin 2012, l'exploitant présentera à l'ASN les modifications qu'il envisage en vue d'augmenter notablement, avant le 31 décembre 2014, l'autonomie des batteries utilisées en cas de perte des alimentations électriques externes et internes. » […]
III. « Au plus tard le 30 juin 2013, l'exploitant met en place un dispositif temporaire sur chaque réacteur permettant d'alimenter : le contrôle commande nécessaire en cas de perte des alimentations électriques (externes et internes), et l'éclairage de la salle de commande. » […]
(ECS-27) I. « Avant le 31 décembre 2012, l'exploitant transmettra à l’ASN une étude de faisabilité en vue de la mise en place, ou de la rénovation, de dispositifs techniques, de type enceinte géotechnique ou d'effet équivalent, visant à s’opposer au transfert de contamination radioactive vers les eaux souterraines et, par écoulement souterrain, les eaux superficielles, en cas d’accident grave ayant conduit au percement de la cuve par le corium. » […]
(ECS-35) II. « Avant le 31 décembre 2012, l'exploitant transmettra à l’ASN la liste des compétences nécessaires à la gestion de crise en précisant si ces compétences sont susceptibles d’être portées par des entreprises prestataires. L'exploitant justifiera que son organisation assure la disponibilité des compétences nécessaires en cas de crise, y compris en cas de recours à des entreprises prestataires. » […]
(ECS-36) I. « Avant le 30 juin 2012, l'exploitant présentera à l’ASN les mesures qu’il prévoit afin de disposer d’équipes spécialisées capables d’intervenir pour assurer la relève des équipes de quart et mettre en œuvre des moyens d'intervention d’urgence en moins de 24 heures, avec un début des opérations sur site dans un délai de 12 heures après leur mobilisation. Ce dispositif peut être commun à plusieurs sites nucléaires de l’exploitant. » […]
Ce que nous en disions à propos du rapport initial de janvier 2012 reste d’une brûlante acuité :
-1- Les ingénieurs nucléaires, leurs commanditaires industriels, politiques et militaires se refusaient à penser, il y a quarante ans, qu’un accident majeur puisse un jour arriver. Les centrales ont été construites sur ce postulat : la probabilité de survenue d’un accident majeur était considérée comme nulle ou bien trop minime pour justifier des dispositions jugées trop coûteuses au regard de ce qui fût qualifié de « risque résiduel ». Poussé par Tchernobyl et Fukushima, c’est ce à quoi ce rapport se confronte, et à quoi il tente de pallier un peu tard, par des moyens et des méthodes dont on peut se demander ce qu’ils deviendront une fois traduits sur les sites par l’exploitant, étant donné la manière dont les prescriptions en cours sont appliquées.
-2- Le nucléaire français est « au bord de la falaise » ! Il n’y a pas un seul des sujets abordés par l'ASN qui ne pose problème, alors que l’exploitant, l’industrie dans son ensemble et les politiques qui les soutiennent nous serinent depuis des lustres que les centrales françaises sont les plus sûres ! Quel démenti cinglant et argumenté en détail ! Ce ne sont plus seulement des manques ou des négligences, mais une suite d’aveux, qui, mis bout à bout constituent justement le lit d’un accident majeur ! Un véritable gouffre, un précipice au bord duquel se trouve effectivement toute l’industrie nucléaire, guettée par « un effet falaise » (les acronymes et les euphémismes sont un des traits majeurs de la novlangue) qui lui est consubstantiel (voir plus bas). Sans pouvoir malheureusement le démontrer dans ce cadre, il est évident qu'il se produira un accident nucléaire majeur en France. Intégrer cela dans le domaine de la pensée pose certes quelques difficultés, mais devient à mon sens plus que nécessaire.
Dernier commentaire (du 22 septembre) : « les annonces politiques » ne font que reprendre à grands renforts de tambours et trompettes ce qu’il était déjà prévu de faire (c’est quelque chose que j’ai pu moi-même vérifier de près dans la pratique du cabinet du ministre Gayssot en 1998-99).
Jean-Marc Royer, les 13 et 22 septembre 2012
[1] Décisions n°2012-DC-0274 et 0292, s’appliquant à Belleville sur Loire (Cher) INB n°127 et 128 et au Tricastin, (Drôme) INB n°87 et 88. Ces prescriptions sont très largement identiques ; nous signalerons seulement celles qui sont propres au Tricastin.
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